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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/181

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six mille lieues à toute vapeur

vages du Meschacébé ; mais voilà qu’un vent chaud chasse les gros nuages ronds comme des boules, qui fuient derrière les plateaux du nord. Le côté sud se remplit d’une vaste nuée couleur de plomb. Des bataillons de sauterelles, des papillons (satyres et hespéries) s’envolent et cherchent un abri contre le nouvel orage qui se prépare.

Le sol de la prairie est une terre de bruyère mélangée de sable fin, couverte d’un gazon court et serré, où poussent des soucis, des solidagos, armoises, centaurées, séneçons, asclépias, asters, camomilles, œnothères à grandes fleurs, plantains, coquerets visqueux, des fougères, des alpistes et des graminées de toute espèce, dont quelques-unes sont garnies de graines barbelées qui s’attachent aux vêtemens et même à la chair. Tu vois, par l’énumération d’une très faible partie des plantes qui tapissent ce sol vierge, que c’est bien une véritable prairie. Le détritus végétal amassé depuis que les eaux ne couvrent plus ces vastes bassins, — anciens lacs immenses, — a par endroits jusqu’à deux et trois mètres d’épaisseur. Cette terre est si bonne, du moins ici, qu’il n’y pousse ni genêts, ni bruyères, ni ajoncs, ni ronces, ni prunelliers épineux comme dans nos landes et nos brandes.

J’ai fait une bonne récolte de coléoptères, dont voici les espèces les plus importantes : Phaneus carnifex, tout en cuivre vert et rouge, carabe caliginosus, Hyboma gibbosa, Pasymadius marginatus, espèce de scarite à fortes mâchoires, à élytres noires bordées de bleu métallique ; des mylabres Atrata et Marginata, qui vivent en société sur le stachys aspera ; des collydies Cyanellum et Varium, et tant d’autres petites espèces dont je ne sais pas encore les noms.

Chassé par l’orage, je reviens à l’hôtel, qui ressemble de loin à une manufacture. On ne part pas ce soir : le steamboat est resté engravé dans le père des fleuves, un peu à sec pour le moment. Je vois, appendues aux murailles, dans le vestibule de l’hôtel, de grandes pancartes représentant des séries de carrés réguliers, traversées par des allées droites. Ce sont les plans de cités futures où, pour allécher les colons, rues, places, promenades, monumens, tout est aligné et tracé comme si la ville était déjà construite. — Voulez-vous demeurer dans le Nebraska ? Voici la ville de Sioux-City, sur le Missouri ; elle promet d’être florissante. — Préférez-vous habiter l’Iowa ? Regardez-moi cette opulente cité de Council-Bluffs, qui aura bientôt un chemin de fer… Si tu cherches ces villes sur la carte, tu n’y trouveras absolument que des déserts à deux cents lieues d’ici dans l’ouest ; mais dans vingt ans peut-être il y aura en effet tout ce qu’on promet. L’émigration, qui est considérable, se porte tellement vers les prairies, qu’on peut augurer