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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/263

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dence de ces rendez-vous, qu’un jour ou l’autre la Zinovèse pouvait surprendre et faire payer si cher. — Mais après tout, puisque La Florade avait appelé le danger, son devoir n’était-il pas de faire bonne garde, et le plus près possible, pour avertir ou porter secours ?

J’étais depuis peu d’instans dans ma chambre lorsque j’entendis ses pas et sa voix sous ma fenêtre. Il m’appelait avec précaution. Je descendis aussitôt et le trouvai fort agité. « La Zinovèse a vu la marquise hier ! » me dit-il. Et comme en raison de la défense qui m’avait été faite de donner aucune explication j’essayais de feindre l’ignorance : « Je sais tout ! ajouta-t-il. J’ai vu la Zinovèse hier au soir. Tiens, voici la preuve ! » Et il me montra à son petit doigt la bague que la marquise avait donnée la veille à Mme Estagel.

— Ah ! La Florade, m’écriai-je, tu lui as pris cette bague ! Tu lui avoues donc que tu aimes la marquise ? et tu viens ici, la nuit, au risque d’être suivi ! et tu ne crains pas la vengeance d’une femme poussée à bout ?

— Non, je ne crains rien, répondit-il, rien que de n’être pas aimé de celle que j’aime.

— Mais c’est d’un affreux égoïsme ce que tu dis là ! Tu ne songes qu’à toi !

La Florade ne me comprenait pas. Quand je lui racontai les terreurs de la marquise et la défense qu’elle lui faisait de la voir jusqu’à nouvel ordre, il fut en proie à l’étonnement le plus sincère.

— Comment ! s’écria-t-il, on craint pour Paul ? Mais c’est fantastique, cette idée-là ? Ah ça, vous prenez donc cette Zinovèse pour une mégère ou pour une Brinvilliers ? — Et passant tout à coup à la joie : — Ah ! mon ami, s’écria-t-il, est-ce que la marquise la craint ? est-ce qu’elle a un peu souffert en la voyant ? est-ce qu’elle l’a trouvée belle à présent qu’elle est guérie ?

— Ainsi tu voudrais voir la marquise jalouse ? tu voudrais la faire souffrir ?

— Je ne veux rien que la voir émue. Sa froideur et son empire sur elle-même me tueront !

— Toi, toujours toi ! jamais son bonheur et son repos ! Voyons, puisque c’est à moi d’y songer à ta place, parle-moi de cette Zinovèse. Tu ne la crois donc pas aussi méchante qu’elle le paraît ?

— Elle est méchante, si fait ; mais entre la colère et le meurtre, entre la jalousie et le crime, il y a des degrés qu’une crainte ridicule fait vite franchir à ton imagination ! Que la marquise, une femme, une tendre mère, rêve de la sorte, je l’admets ; mais toi, l’homme sérieux, le physiologiste,… c’est absurde, je te le déclare !

— C’est possible, mais je veux tout savoir.