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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/264

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— Permets ! Moi d’abord, je suis l’égoïste, c’est réglé ; je veux savoir avant tout ce que signifie ce prochain mariage de la marquise avec toi.

— N’est-ce pas toi qui as inventé cette fable ?

— Oui, pour détourner les soupçons de Catherine Estagel et avoir la paix ; mais comment la marquise a-t-elle pu s’y prêter ? Elle a donc une grande confiance en toi ? Elle t’estime donc bien ?

— J’ai droit à son estime et à sa confiance. Tant pis pour toi si tu le nies ; ce n’est pas d’un grand cœur !

— Non, non, mon ami, je ne le nie pas. Je ne doute plus de toi, je doute de moi-même. La marquise a peur pour son fils, et voilà tout. Elle n’est pas jalouse, elle ne m’aime pas ! Elle sait tout au plus que je l’aime !

— Tout au plus ?… Mais tu le lui as dit ?

— Tu sais bien que je n’ai pas osé.

— Mais Nama, qui jurait de te servir !

— Ah ! voilà ! Elle a dû parler ; mais tu me fais un crime de la voir en secret, je ne peux rien savoir.

— N’était-ce pas pour tâcher de lui parler que tu rôdais tout à l’heure sur la colline ?

— Oui, pour lui parler, ou lui lancer un billet qu’elle se serait fait lire par Pasquali, elle l’a mis dans toutes nos confidences ; mais comment m’as-tu vu ? Est-ce que d’ici on peut…

— Apparemment.

— Malédiction ! rien ne me réussit maintenant ! Vrai, la destinée, qui me souriait, qui me protégeait, qui me rendait invulnérable et invisible dans toutes mes aventures, m’abandonne depuis quelque temps. Il y a partout des yeux qui me guettent, des oreilles qui m’entendent… Et voilà une femme que j’aime avec frénésie, et qui ne se laisse ni émouvoir ni deviner ! Ah ! je n’ai plus de chance, et je crains de n’avoir plus de bonheur !

J’étais fort surpris de voir La Florade si peu informé de sa victoire et si découragé à la veille du triomphe. D’un mot, je pouvais l’enivrer de joie ; mais cela m’était défendu expressément, et mon cœur ne s’y fût-il pas refusé, la délicatesse s’opposait à toute confidence. La marquise n’en était encore qu’aux larmes. Elle voulait combattre encore ; elle devait avoir consulté le baron ; elle voulait probablement me consulter aussi. La Florade avait bien le temps d’être heureux, et j’avais beau vouloir m’intéresser à lui, je ne pouvais me résoudre à le plaindre.

— Ah ça, reprit-il impatienté de mon silence, tu ne sais donc rien ?

— Je sais qu’elle est mortellement inquiète pour son fils, et je