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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/382

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La tradition, qu’est-ce autre chose que l’expérience des siècles qui nous ont précédés, trésor accumulé où vous n’avez qu’à puiser ? S’il est vrai que nous ayons atteint la perfection autant qu’il est permis aux hommes de l’atteindre, vous n’avez plus à découvrir les principes du beau, mais à les appliquer, sans que le désir d’inventer vous les fasse perdre de vue. Vous devez présenter une beauté si pure et si naturelle qu’elle n’ait pas besoin de surprendre par la nouveauté. Les statues qui séduisent par leur finesse ont une pointe qui s’émousse aussitôt. Que l’art soit dans vos œuvres comme la santé dans le corps, qui n’est jamais meilleure que lorsqu’elle ne se fait point sentir.

ALCAMÈNE.

Il est pourtant nécessaire d’éveiller l’attention par un spectacle nouveau.

PHIDIAS.

Nécessité qu’il faut combattre. L’homme est en effet amoureux du changement : tel est le secret du progrès dans les sociétés jeunes encore, telle est la cause de la décadence chez les peuples qui arrivent à leur maturité. La perfection elle-même vous lasserait si vous n’étiez pas résolus à vous y attacher avec la même fermeté qu’exigent le devoir et la vertu, car c’est vous qui êtes constitués les maîtres du goût public et les gardiens du beau. Pour obtenir des éloges qui ne durent pas, ne renoncez donc jamais à la seule gloire qui soit durable. Songez que vous tenez dans vos mains la destinée de l’art grec. Quand je vous ai visités à Phigalie, trop tard pour vous avertir, j’ai été attristé en remarquant sur les sculptures du temple des mouvemens exagérés, une recherche de la violence que je ne vous avais point enseignée. Le calme est la première beauté du corps, de même que la sagesse est la plus haute expression de l’âme.

PRAXIAS.

Il est vrai que nous étions las de sculpter ces combats d’amazones et ces éternels centaures.

PHIDIAS.

Les sujets vous manquent-ils ? Le monde de nos fictions n’est-il pas immense ? De là vous tirerez les nouveautés fécondes qui frapperont les esprits bien mieux que des formes imprévues et un style sans cesse altéré. Si Jupiter et Minerve m’appartiennent, si Junon est consacrée à jamais par le talent de Polyclète, les autres dieux attendent que vous leur donniez à votre tour leurs attributs, leurs proportions, leur caractère, leur beauté propre. Quand l’Olympe sera épuisé, la terre, la mer, l’air lui-même ne sont-ils pas remplis de ces divins fantômes que les poètes ont décrits, mais que vous seuls pourrez saisir ? Dès qu’Apollon descend sur le Parnasse, les Muses forment aussitôt leur chœur sacré, tandis que les Heures prennent soin de ses coursiers et que Marsyas essaie sa flûte sous le hêtre voisin. Dès que Vénus se repose sous les ombrages de Paphos, elle est entourée par l’Amour, le Désir, la Persuasion, et par les Grâces qui lui dénouent sa chevelure. Bacchus s’avance sur les coteaux conduisant la troupe pétulante des faunes, des bacchantes et des satyres. Neptune paraît sur les flots, et déjà Téthys, Amphitrite, Leucothée, les néréides innombrables s’élancent à sa suite, sans que les tritons et les dauphins cessent leurs jeux, qui font