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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/383

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jaillir l’onde amère. La nature entière, animée par les croyances de l’homme, vous offre des sujets. Quel arbre ne cache une dryade ? Quelle source n’est protégée par une nymphe ? Quel fleuve ne s’épanche de l’urne d’un dieu ? Tout prend un corps, tout a un nom. Le premier sourire du matin s’appelle l’Aurore, le murmure de l’air s’appelle Zéphyre ; si votre propre voix résonne parmi les rochers, c’est Écho qui vous répond. Même quand la nation des Hellènes aura disparu, la religion et l’épopée grecques fourniront une matière inépuisable aux artistes de tous les âges.

PRAXIAS.

Mais pour représenter des créations nouvelles, de nouvelles formes sont nécessaires.

PHIDIAS.

Les formes sont pour la sculpture ce que les mots sont pour la poésie. Quand une langue est belle comme la nôtre, Sophocle n’a pas besoin d’inventer des mots pour traduire ses idées, mais il combine avec une divine harmonie ceux qui sont fixés par l’usage. Avec quelle docilité l’école d’Argos ne copie-t-elle pas les proportions que Polyclète a immortalisées dans sa statue du Doryphore ! S’il est vrai que l’école attique ait trouvé des formes plus grandioses et plus exquises encore, conservez-les soigneusement, de même que nos poètes gardent la langue dans sa pureté. Réservez au contraire toute la force de votre esprit pour imaginer des types sur lesquels ces formes seront étendues ainsi qu’un vêtement. Laissez aux Doriens les athlètes, les portraits, et le soin de reproduire servilement la nature. Des Athéniens doivent créer sans cesse, contemplant ces images idéales que l’âme porte en elle-même comme un souvenir. C’est au génie athénien qu’il appartient de donner des modèles au reste de la Grèce, et, sous la forme des dieux qu’elle adore, de lui faire admirer successivement les expressions les plus diverses de la beauté. En restant fidèles a cette tâche, vous ne serez pas seulement les premiers parmi les sculpteurs contemporains, mais vous resterez les ancêtres de tous ceux qui manieront le ciseau dans les âges futurs, et qui, désespérant de vous égaler, se feront vos imitateurs.

ALCAMÈNE.

Maître, nous nous efforcerons de continuer ton œuvre. (Entre Périclès.)

PHIDIAS.

Et maintenant, mes amis, il faut nous séparer, vous pour vivre, moi pour mourir. (Agoracrite et quelques autres disciples ne peuvent contenir leurs larmes.) Modère ta douleur, cher Agoracrite : nous nous reverrons, je l’espère ; mais je dois m’entretenir seul avec Périclès. (Ils s’éloignent, Socrate retient Alcamène sur le seuil.)

SOCRATE.

Les frontons d’Égine sont sans doute présens à ta mémoire ?

ALCAMÈNE.

Assurément.

SOCRATE.

Phidias ne te rappelle-t-il pas les statues de ces héros dont la poitrine est traversée par une flèche, et qui ont le sourire sur les lèvres ?