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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/43

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avec Paul, qui déjeunait, jouait et travaillait. Pendant ce travail, elle enseignait la lecture et l’écriture françaises à Mlle Roque. À deux heures, à moins de courses exceptionnelles, nous montions en voiture avec Nama, le baron, et quelquefois Aubanel ou Pasquali, pour rentrer à six heures. Paul travaillait encore jusqu’à sept. On dînait souvent tous ensemble, tantôt chez nous, tantôt chez la marquise, et souvent on causait jusqu’à neuf heures du soir. Paul se couchait alors, et sa mère veillait près de lui jusqu’à minuit.

Elle était d’une grande activité, toujours levée, coiffée et habillée à huit heures du matin. Je n’ai jamais rencontré d’humeur plus égale, d’âme plus sereine. Son activité n’avait rien d’emporté et passait sans bruit sous les yeux comme l’eau d’un ruisseau bien rapide, bien clair et bien plein, qui s’épanche sur un lit de mousse. Son entretien comme son silence vous pénétraient du calme suave qui régnait dans sa pensée. L’amour pouvait-il trouver une fissure pour pénétrer dans ce cristal de roche ?

Mlle Roque avait-elle osé lui parler des sentimens de son prétendu frère ? Rien ne trahissait un air de confidence entre elles. Mlle Roque gagnait certainement chaque jour en beauté et en santé depuis qu’elle habitait Tamaris ; elle maigrissait : mieux mise et plus assurée sur ses jambes, qui apprenaient à marcher, elle perdait cette nonchalance lourde qui n’était pas une grâce à mes yeux. Mme d’Elmeval s’efforçait de secouer la torpeur physique : elle lui permettait de faire de beaux ouvrages d’aiguille, Nama avait un grand goût d’ornementation ; mais on lui prescrivait le mouvement, et la marquise lui confiait quelques soins domestiques qui lui plaisaient.

— Un matin, la marquise ayant demandé du café, Mlle Roque voulut le préparer elle-même à sa manière, et j’étais là quand elle le lui présenta ; la marquise, l’ayant goûté, reposa la tasse avec dégoût en lui disant : — Ma chère enfant, ce n’est pas du café broyé que vous me donnez là. Je ne sais ce que c’est, mais c’est fort désagréable.

Je vis Mlle Roque se troubler un peu, et comme elle allait remporter la tasse sans rien dire, je m’en emparai et j’en examinai le contenu : c’était une véritable infusion de cendres qu’elle avait servie à la marquise. Un souvenir rapide m’éclaira. — C’est de la cendre de plantes aromatiques, dis-je à Mlle Roque ; cela vient de la cime du Coudon, et c’est un vieux charbonnier qui la prépare.

Elle resta pétrifiée, et la marquise s’écria en riant que je disais des choses fantastiques. J’insistai. Mlle Roque ne lui aurait-elle pas déjà servi en infusion ou fait respirer certaines plantes vulgaires, comme la santoline, le romarin ou la lavande stæchas ?

— Vous êtes donc sorcier ? dit la marquise. Elle ne m’a jamais