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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/44

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rien fait boire d’extraordinaire avant ce prodigieux café ; mais elle a mis dans ma chambre toutes les herbes de la Saint-Jean, pour combattre, disait-elle, le mauvais air de la mer, ce qui m’a paru fort plaisant.

— Et ces herbes sont divisées en trois paquets liés par des cordons de laine rouge, jaune, noire ?

— Eh mais ! précisément, je crois ! D’où savez-vous tout cela ?

Comme Nama s’enfuyait terrifiée, je la suivis pour lui adresser une verte semonce. Elle risquait, avec ses drogues de sorcier de campagne, d’employer à son insu des choses nuisibles et d’empoisonner son amie. Elle eut grand’peur, pleura et jura de ne pas recommencer. Je feignis de croire qu’elle n’avait eu d’autre dessein que celui de chasser de la maison les mauvais esprits et les funestes influences ; je ne voulus pas lui dire qu’après avoir demandé ces amulettes pour se faire aimer de La Florade, elle les employait maintenant pour faire aimer La Florade de la marquise. Je ne pouvais me défendre de sourire de la naïveté de cette fille, qui n’osait ou ne savait parler, et qui croyait faire merveille pour son protégé en versant ses philtres innocens à sa compagne.

— M’expliquerez-vous cette affaire mystérieuse ? me dit Mme d’Elmeval quand je retournai auprès d’elle.

— C’est bien simple. Votre métisse est superstitieuse ; elle évoque la vertu de certains dictames contre les esprits pernicieux de l’air, et comme elle est ignorante, elle s’en rapporte à la science des charbonniers de la forêt, dont quelques-uns font métier d’enchanteurs.

Je lui racontai ma rencontre au Coudon avec l’homme chargé par Nama de cette récolte. Elle devint pensive en m’écoutant.

— N’est-ce pas le 6 avril, me dit-elle, que ce feu a été allumé sur la cime du Coudon ?

— Précisément.

— Eh bien ! je l’ai vu, je l’ai remarqué. Je me suis demandé si c’était un signal pour quelque navire en détresse ; mais il n’y a aucun poste par-là, et c’est trop loin de la mer, qui était d’ailleurs fort tranquille. Comme cette nuit-là a été mauvaise à partir de onze heures ! Je ne sais pas pourquoi j’ai repensé à ce feu en me disant que quelque voyageur attaqué par les loups était peut-être là en grand péril, et j’ai été regarder encore ; mais tout était dans les nuages, la lune aussi bien que la montagne. Enfin j’ai pensé à vous, docteur ; vous aviez dit à Pasquali que vous comptiez faire cette excursion prochainement avec M. La Florade ?

— Et vous étiez inquiète de lui ? repris-je en riant des lèvres.

— De lui ? Ah ! vous m’y faites penser ; parlons de lui. Pourquoi s’imagine-t-il que je suis si pressée de me remarier ?