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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/830

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quels correspondans, je vous prie! Il suffit de nommer Bossuet, Leibnitz, le prince de Condé. Qui croira que de pareilles lettres aient pu se perdre? Et d’un autre côté comment comprendre qu’un homme civilisé les ait entre les mains, et par je ne sais quel scrupule ou quelle rancune invétérée s’obstine à en priver le public? Je doute qu’il y ait un seul ami des lettres qui n’ait applaudi à cette véhémente réclamation que M. Cousin adressait en 1843 au détenteur inconnu de tant de précieux documens : «Qu’il sache, s’écriait l’éloquent philosophe, qu’il ne lui est pas permis de retenir le précieux dépôt tombé entre ses mains, encore bien moins de l’altérer. Tout ce qui se rapporte à un homme de génie n’est pas la propriété d’un seul homme, mais le patrimoine de l’humanité. Malebranche aujourd’hui, élevé par le temps au-dessus des misères de l’esprit de parti, n’est plus l’ami de Port-Royal et le confrère de Quesnel; ce n’est plus que le Platon du christianisme, l’ange de la philosophie moderne, un penseur sublime, un écrivain d’un naturel exquis et d’une grâce incomparable. Retenir, altérer, détruire la correspondance d’un tel personnage, c’est dérober le public, et à quelque parti qu’on appartienne, c’est soulever contre soi les honnêtes gens de tous les partis[1]. »

Ces paroles sont-elles parvenues jusqu’à la conscience du coupable et y ont-elles éveillé quelque remords? Il ne paraît pas; mais, grâce à Dieu, voici un jeune savant qui vient adoucir nos regrets par une découverte des plus heureuses. En compulsant les manuscrits de la bibliothèque de Troyes, M. l’abbé Blampignon y a trouvé des fragmens considérables de la vie de Malebranche par le père André. Ce n’est pas tout: l’habile explorateur a mis la main sur toute une correspondance de Malebranche conservée par le père Adry, dernier bibliothécaire de l’Oratoire, et en outre sur un travail biographique, ouvrage du même oratorien, rédigé, à la veille de la révolution, à l’aide des mémoires du marquis d’Allemans, du conseiller Chauvin et du père Lelong, tous trois bien connus comme amis particuliers de Malebranche[2]. Ce sont là des documens du plus grand prix. M. l’abbé Blampignon, par son amour sincère de la philosophie, par sa curiosité intelligente et par toute sorte d’aptitudes remarquables, méritait le bonheur qu’il a eu de rencontrer ces trésors, et il s’en est montré le digne possesseur en se hâtant d’en faire part au public. Il y a joint une fort intéressante et fort savante étude, où se fait sentir cet esprit de critique honnête et impartiale qui distingue la jeune école des carmes, digue héritière,

  1. Introduction aux œuvres philosophiques du père André, pages 51, 52; 1843.
  2. Les manuscrits du père Adry sont passés de l’Oratoire aux Archives, n° 630.