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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/831

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il y a tout lieu de l’espérer, des traditions libérales de nos illustres corporations religieuses et savantes des deux derniers siècles.

Essayons à notre tour, l’œil fixé sur ces pièces inédites et en mettant à profit les travaux excellens de M. l’abbé Blampignon, essayons de jeter un peu plus de lumière sur la personne de Malebranche, sur son caractère, son œuvre, ses rapports avec Bossuet, Arnaud, Condé et toutes ces grandes figures du XVIIe siècle, parmi lesquelles la sienne se détache très vivement, avec une originalité parfaite et un charme singulier.


I.

Nicolas Malebranche naquit à Paris le 6 août 1638, l’année qui suivit la publication du Discours de la Méthode. Il était de race parlementaire. Nous savons par Fontenelle que sa mère, Catherine de Lauzon, eut un frère vice-roi du Canada. Peu importe, dira-t-on, comme aussi il n’est pas fort nécessaire de savoir que les Malebranche avaient la particule et qu’ils portaient de gueules à une patte de lion d’argent descendante du flanc senestre; mais peut-être est-il un peu moins insignifiant d’apprendre que Malebranche avait du sang mystique dans les veines, sa mère étant parente de Mme Acarie, la pieuse réformatrice de l’ordre du Carmel. Malebranche, le dernier de dix enfans, naquit faible et mal conformé. Il avait, disent ses biographes, qui évitent délicatement le mot propre, il avait l’épine dorsale un peu tortueuse et la poitrine très enfoncée. Son estomac était mauvais, et il souffrit de la pierre dans son enfance; avec cela des marques d’un esprit merveilleux et d’une âme tendre et pieuse. Il est donc assez naturel que sa famille ait songé pour lui à l’état ecclésiastique, auquel, dit le malicieux Fontenelle, la nature et la grâce l’appelaient également. Sur l’avis de son oncle, M. de Lauzon, Malebranche entra comme novice à l’Oratoire le 21 janvier 1660, et quatre ans plus tard, le 20 septembre 1664, il fut ordonné prêtre par l’évêque de Dax. Au sortir du noviciat, le nouvel oratorien quitta le séminaire de Saint-Magloire pour habiter la maison professe de la rue Saint-Honoré. On le mit entre les mains du père Lecointe, qui lui fit lire Eusèbe, Socrate, Sozomène et Théodoret, pendant qu’un autre père, le célèbre Richard Simon, essayait de l’initier à l’hébreu et au syriaque; mais ce fut peine perdue. Il confondait les mots, oubliait les dates, brouillait les faits. Évidemment ou s’était trompé sur sa vocation. Déjà, au collège de La Marche, son répétiteur de philosophie, depuis recteur de l’Université, M. Rouillaud, péripatéticien habile, s’était efforcé vainement de lui inculquer la métaphysique de l’école. Tout ce qui était