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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/939

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se refuse à remplir sa funeste mission, il se jette dans le Tibre, d’où l’honnête bravo se hâte de le retirer. A partir de ce moment. Gérard disparaît. Le cloître hérite de cette âme tourmentée. Novice pendant quelques mois, le jeune Hollandais prononce bientôt les vœux qui l’enchaînent pour toujours. Gérard Eliassoen a fait place à frère Clément.


II.

Comme on l’a sans doute pressenti, Marguerite n’est pas morte. La substitution d’une fausse lettre, écrite par le bourgmestre, à celle dont la sœur des Van-Eyck avait chargé Hans Memling est l’œuvre infernale des deux méchans frères, Sybrandt et Cornélis. Le pardon accordé par le duc ouvre à Gérard les portes de sa patrie. S’il apprenait que Marguerite, la fiancée de son cœur, l’attend toujours, aimante et fidèle, auprès d’un berceau, et que leur enfant grandit sous les yeux de Catherine et d’Elias, réconciliés avec celle qu’ils repoussaient naguère, il se hâterait sans doute d’accourir. C’est là le péril que ses frères ont voulu conjurer, et, tourmenté par le souvenir de ce document fatal qu’il sait entre les mains du fiancé de Marguerite, Ghysbrecht leur a prêté assistance. Marguerite cependant, malgré le temps qui s’écoule, malgré l’ignorance où elle est du sort de son fiancé, ne se décourage ni ne se lasse. Pour nourrir et son père qui décline et son enfant qui grandit, elle travaille sans relâche, rebelle aux bienfaits, gardant avec soin sa dignité, n’acceptant ni le mépris ni les secours, et recueillant à la longue, pour prix de sa patience vaillance, l’estime, l’affection qui lui sont dues. Les obscures épreuves de cette humble existence, mises en regard des violentes péripéties qui marquent celle de son fiancé, sont loin de perdre à la comparaison, et la ténacité sereine de sa constance, le dévouement maternel qui la soutient, l’innocente industrie qui lui permet de faire face à toutes les difficultés de sa situation, donnent un singulier charme à cette paisible figure hollandaise qui semble peinte par Albert Dürer. Nous ne pouvons cependant que l’indiquer ici, et laisser entrevoir, à côté d’elle, un jeune adolescent que sa misère a touché, qui peu à peu se laisse charmer, et dont le dévouement candide, accepté avec une reconnaissance tout amicale, semble préparer un dénoûment inattendu. Si Gérard ne revenait pas, on devine que Marguerite, touchée de compassion et cédant à une inspiration de bon sens pratique, finirait par épouser Luke Peterson. Catherine l’y encourage, mécontente de l’apparente indifférence que montre son fils. Elias n’y trouverait point à dire. Seule peut-être, Marguerite Van-Eyck se-