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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/940

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rait tentée de blâmer une pareille union. Quant à Peter Brandt, il est mort appelant les bénédictions du ciel sur la tête de sa fille et de son petit-fils.

Le temps a marché cependant, et Gérard est devenu un des prédicateurs les plus en renom de l’ordre auquel il est affilié. Au moment où les siens commencent à désespérer de le revoir jamais, le hasard de ses missions le ramène sur le Rhin, qu’il descend pour se rendre en Angleterre. Un incident fortuit l’attarde à Rotterdam et le décide à y faire entendre sa puissante parole. L’attention publique, bientôt fixée sur lui, amène Marguerite au pied de sa chaire. Tandis qu’elle reconnaît son fiancé, il se croit le jouet d’une apparition surnaturelle ; puis, lorsque la vérité lui est en partie révélée, quand il voit l’abîme infranchissable qu’il a creusé lui-même, dupe de machinations ténébreuses, entre lui et la fiancée de son choix, un nouvel accès de désespoir le pousse à une étrange résolution. Après avoir maudit solennellement, dans la maison paternelle, les deux frères qui l’ont si odieusement trompé, après avoir ainsi dénoncé leurs indignes fraudes à son père, qui les chasse ignominieusement, après être allé réveiller un remords tardif dans l’âme du vieux Ghysbrecht, qui de lui-même, et sans attendre qu’on l’y contraigne, se résout à restituer le bien mal acquis, Gérard, une fois encore, disparaît de la scène. Il n’est plus ni auprès du foyer domestique ni derrière les murailles du cloître; une résolution désespérée l’a poussé dans un ermitage abandonné, où il veut achever, seul à jamais, les jours que Dieu lui destine encore.

Marguerite, doublement enrichie par les restitutions du bourgmestre moribond et par le testament de Mlle Van-Eyck, qui lui laisse en mourant tout ce qu’elle possédait, met vainement tout en œuvre pour retrouver les traces de Gérard, en faveur de qui son frère Giles, devenu nain de la cour et personnage en crédit, s’est hâté de réclamer la cure jadis promise par la jeune duchesse de Bourgogne. Aucune nouvelle du moine fugitif, qui vit cependant, mais toujours reclus, invisible à tous, aux portes mêmes de la cité natale; il y vit en proie à la farouche mélancolie, aux tentations de suicide, aux fièvres morales, au délire intellectuel, qui, loin de ses semblables, viennent assiéger l’homme en lutte avec ses premiers instincts. Lorsque Marguerite découvre sa retraite, lorsqu’elle entreprend de combattre, elle, simple femme, l’espèce de fascination qu’exerce la solitude sur cet homme, dont la raison s’égare, le combat qui se livre dans cette grotte isolée, entre les inspirations du fanatisme érémitique et celles de ce bon sens supérieur qui maintient l’homme sur la voie faite pour tous, prend sous la plume du romancier protestant des proportions quasi épiques. Deux dogmes sont alors aux