Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/164

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et de conquête ; c’était la guerre pour assurer la paix, c’était l’armée internationale protégeant l’ordre public des états.

Que cette idée de l’arbitrage vînt réellement du roi Henri IV, comme le prétendait l’abbé de Saint-Pierre, cela importe peu sans doute. On s’est demandé cependant si, en lui donnant le premier cette origine dans ses OEconomies royales, Sully n’avait pas essayé de couvrir ses écrits de la grande personnalité du roi ; mais le ministre dit plus dans ses mémoires ; ainsi que le fait observer M. Molinari, il affirme que des négociations avaient été engagées avec plusieurs souverains, notamment avec la reine Elisabeth, pour établir une fédération européenne. Si en effet des négociations ont eu lieu, la question serait tranchée, et l’idée de l’arbitrage, qu’on ne rencontrerait dans aucun autre étal à cette époque, serait véritablement celle du souverain à qui elle était attribuée dans ces écrits. Rousseau donnait bientôt au projet de paix perpétuelle la forme brillante de son style, et Kant s’en inspirait pour un essai semblable. Ce qu’il importe uniquement de signaler, c’est qu’avant toute fédération, selon Kant, chaque état devait se mettre en possession d’un gouvernement représentatif. La raison qu’il en donnait avait son côté plus piquant que pratique : comme ce sont en définitive les citoyens qui supportent le poids de la guerre, eux seuls devaient être appelés à en décider, ce qui ne leur était donné que sous les gouvernemens à forme représentative. Dans un état despotique au contraire, la guerre n’était si facilement résolue que parce qu’elle ne coûtait au souverain, « propriétaire et non membre de l’état, aucun sacrifice ni sur ses biens, ni sur ses plaisirs de table, de chasse, de campagne et de cour. » — C’était là soulever une grave question de droit public qui a fait son chemin depuis, et n’a point été oubliée lorsqu’il s’est agi de rédiger nos constitutions.

C’était au fond la question de savoir à qui appartient le droit de paix et de guerre, question beaucoup moins épineuse en théorie que dans l’application. Il va de soi que ce droit, comme tous les autres, ne peut être exercé que par délégation ; seulement, dès qu’il s’agit de le combiner avec la division des pouvoirs, les embarras commencent. Dans une des plus brillantes discussions dont on ait gardé le souvenir, Barnave et Mirabeau se chargèrent de présenter la question sous tous ses aspects, et l’assemblée constituante déclarait que le droit de paix et de guerre « appartient à la nation, » mais que la guerre ne pouvait être décidée que par un décret du corps législatif, rendu sur la proposition formelle du roi. On eut beau dire que la solution manquait de netteté, qu’elle se heurtait à la division des pouvoirs, qu’en voulant être agréable tout à la fois à la nation, à l’assemblée et au roi, elle ne donnait satisfaction à personne, en