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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/224

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Monnier se rattache par l’Enfant bien corrigé aux Enfans de maintenant, l’une des moralités les plus remarquables du XVIe siècle : Florian, dans le Tourtereau, fait revivre Racan et Mme Deshoulières ; le chevalier de Boufflers, dans l’Oculiste, nous ramène aux fabliaux du meilleur temps, au Boucher d’Abbeville, au Vilain Mire. Le chevalier de Nigris s’inspire d’Anacréon, et le poète de Théos, une première fois rajeuni au XVIe siècle par l’école de Ronsard, reparaît sous Louis XV en toilette pompadour. Les bergères, escortées des colombes de sa mère, le trouvent sous des roses, et se piquent en le dénichant aux épines de son berceau. L’Almanach des muses, qui paraît pour la première fois en 1762 comme le journal officiel du Parnasse mythologique, offre un débouché nouveau aux gens d’esprit qui bornent leur ambition littéraire à rimer quelques vers agréables, et les savans eux-mêmes se font un honneur de figurer parmi ses rédacteurs ordinaires. Lorsqu’il n’est pas en voyage pour mesurer le globe, La Condamine quitte le compas pour la lyre, et ne croit pas déroger à la dignité de membre de l’Académie des Sciences en publiant, dans le recueil dédié aux neuf sœurs, le Souper du prédicateur, la Queue du diable et l’Ivrogne philosophe. Grouvelle[1], Saint-Marc, de Chennevières, et d’autres encore, dont les noms sont oubliés comme les œuvres, ont donné quelques jolies pièces à ce recueil, que l’on pourrait appeler le tombeau des poetœ minores ; Voltaire lui-même n’a point dédaigné de l’illustrer de son nom, et quand on le compare à ses contemporains, aux plus célèbres eux-mêmes, on est frappé de voir à quelle hauteur il s’élève au-dessus d’eux. Cette supériorité se révèle surtout dans les contes en vers, et, quand on lit Gertrude, l’Anti-Giton, la Bégueule, Ce qui plaît aux dames, on se demande si La Fontaine n’a pas un rival.

On a dit que, si l’histoire d’un peuple venait à se perdre, on la retrouverait dans son théâtre ; il serait plus vrai de dire qu’on la retrouverait dans ses contes, de quelque nom qu’ils s’appellent, romans d’aventures, poèmes chevaleresques ou joyeux devis. C’est là que s’est reflétée à toutes les époques, comme dans un miroir fidèle, humanœ histrioniœ speculum, l’image de cette vieille société

  1. Grouvelle, éditeur des Lettres de Mme de Sévigné et des Mémoires de Louis XIV, est l’auteur d’un fort joli conte intitulé Chacun son heure. Malheureusement Grouvelle tombait parfois dans une afféterie qui eût fait pâmer d’aise Armande et Bélise. L’Oreiller de Glycère est un chef-d’œuvre du genre ; il débute par cette stance, qui ne le cède en rien au Sonnet de la princesse Uranie :

    Révèle tes secrets au jour,
    Oreiller foulé par Glycère,
    Duvet, plumage de l’amour
    Et des colombes de sa mère !