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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/26

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Bref, M. Spencer commence, comme tout le positivisme contemporain, par la résolution de ne se fier qu’à la science physique, à celle qui a uniquement pour objet les substances sensibles en mouvement. Il croit d’avance que cette science a seule droit de nous faire notre idée des lois de l’univers, que ses données à elle sont les seules connaissances positives, les seules dont nous devions tirer l’explication totale qui doit être le principe de toutes nos prévisions, de nos décisions, de nos règles pratiques de conduite. Voilà bien le dard du scorpion. Pour parler plus généralement, ce qui me paraît menaçant, c’est la tendance exclusive que j’aperçois non-seulement sous le positivisme matérialiste de l’Angleterre, mais sous l’intellectualisme qui est le caractère général de ses diverses écoles modernes. Chez les Buckle et les Mill, chez les penseurs qui ne se sont pas adonnés à expliquer l’évolution de l’univers, je retrouve, comme chez les apôtres de l’évolution par la seule activité mécanique de la matière, un parti-pris arrêté de ne tenir compte que des faits perceptibles, c’est-à-dire que des perceptions humaines, Insciemment ou sciemment, tous partent de l’hypothèse que les civilisations n’ont eu pour cause que l’insuffisance ou l’accroissement des connaissances, et, — ce qui est bien plus grave, — que la civilisation ne se transmet que par la science. Tous inclinent à ne voir dans les religions que le mal qu’elles peuvent faire en entravant par leurs dogmes le jugement individuel. Tous croient de confiance que, pour rendre les hommes plus capables de comprendre leurs vrais intérêts, il s’agit de les délivrer des théologies, et que, du moment où ils seront stylés à ne tourner leur attention que vers, l’étude des choses utiles et nuisibles, ils ne pourront manquer de s’entendre par leur manière de concevoir l’intérêt général. Tous concluent enfin que le meilleur parti à prendre est de supprimer les dotations des églises et de ne plus s’occuper des religions, de les laisser dans leur coin achever comme il leur plaît leurs rêves chimériques sur les voies surnaturelles de la puissance surnaturelle.


III.

À mon avis, le danger de cet état des esprits revient à ceci, que l’intelligence à son tour se pose aujourd’hui comme le pape-empereur, comme la faculté qui a mission, de droit divin, pour dicter la loi à tous les besoins de notre être. Elle veut tout pour elle et par elle. Elle propose de nous délivrer de l’erreur et du mal en jetant au panier la théologie, la métaphysique, la crainte de l’inconnu, le sentiment de nos limites et bien d’autres choses en vérité, car elle