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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 8.djvu/38

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REVUE DES DEUX MONDES.

la nature. Les gazons, tout semés de fleurs, s’abaissaient d’un côté jusqu’au lit du petit torrent, et de l’autre se relevaient en pente mollement sinueuse jusqu’aux premières assises rocheuses de la montagne. Les massifs d’arbres étaient si bien disposés et si bien éclairés par le soleil qu’on se serait cru dans un jardin anglais savamment aménagé pour imiter la nature en ce qu’elle a d’élégant, de frais et de pur dans les endroits privilégiés. Il n’y avait pourtant pas ce qu’on appelle des points de vue. La montagne formant impasse présentait un cirque peu élevé qu’on pouvait embrasser d’un coup d’œil. Les’bois qui marquaient la limite entre les derniers étages de la prairie et la roche nue formaient une ceinture irrégulière du plus charmant effet ; plusieurs ruisseaux, les sources du torrent de Jordanne, bondissant des hauteurs en minces cascatelles, se réunissaient à peu de distance de la maisonnette pour se diviser encore au-delà et former d’autres cascades dont les notes différentes se mariaient en une sauvage et pourtant douce harmonie. Ce que j’avais pris pour un enclos n’était qu’une petite île inculte.

Au-dessus des brèches volcaniques qui fermaient l’enceinte, apparaissaient les cimes de montagnes plus élevées, le Puy-Marie, les puys Griou et Chavaroche. De ce côté-là, il paraissait impossible de sortir de l’impasse ; mais vers le midi, par un interstice des collines boisées au milieu desquelles les différens ruisseaux de la Jordanne s’étaient creusé des gorges et des ravines pleines de végétation et de fraîcheur, j’entrevis le rocher de Flamarande à environ un kilomètre de distance à vol d’oiseau. Sa base plongeait dans une brume qui témoignait des chutes plus importantes de la Jordanne autour du massif ; le haut du donjon se découpait nettement dans le ciel, et je ne pouvais m’y tromper. S’il y avait par là un sentier praticable, je pouvais être rendu en dix minutes au vieux manoir.

XLVII.

Le soleil était encore assez haut pour me permettre d’explorer ce charmant et singulier refuge, sans crainte d’être surpris par la nuit dans les difficiles sentiers qui m’y avaient amené et qui eussent été encore plus difficiles à reconnaître dans l’obscurité. J’étais un bon piéton et je grimpais adroitement, mais je n’avais pas l’œil montagnard qui perce les ténèbres. Je ne voulus pas quitter cette demeure isolée, qui m’intriguait, sans l’avoir explorée autant que possible. Est-ce là que se cachait la comtesse de Flamarande quand elle venait secrètement voir son fils ?

Sans doute Ambroise Yvoine était son confident et le gardien de