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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 8.djvu/493

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FLAMARANDE.

aimes mieux faire souffrir celle que tu aimes que d’imposer ton fils à la société et à Roger.

Ambroise, qui ne soupçonnait pas les motifs attribués par moi au marquis, continuait à ne pas comprendre. Il demanda la parole. — Monsieur Alphonse, dit-il, vous direz ce que vous voudrez. Je sais bien que vous comptez servir de père à Espérance, et que vous serez pour lui un meilleur père que… pardon ! je ne veux rien dire de l’autre… Tenez, je vous aime bien, je me jetterais au feu pour vous, mais j’aime aussi le gars Espérance ; faites excuse, madame la comtesse, c’est mon enfant aussi, à moi ! C’est moi, le vieux Ambroise, qui lui ai appris à être fin chasseur, fort nageur et bon connaisseur en chevaux et en toutes choses de la campagne. C’est moi qui le premier l’ai fait parler quand il ne voulait parler à personne ; c’est moi qui l’ai porté sur mon dos pour lui faire connaître les hauts quand il avait les jambes trop menues. J’en ai fait le plus joli montagnard qu’il y ait à vingt lieues d’ici, et pendant que M. Alphonse lui donnait de l’esprit, moi je lui faisais un beau et bon corps. Les enfans… moi, je suis comme M. Charles, je n’en ai jamais eu et j’en suis fou. Et je ne suis pas comme M. Alphonse, qui dit qu’on est assez heureux quand on a bonne conscience et belle clarté d’esprit. Dame, excusez-moi, je suis un pauvre, j’ai été élevé à la peine et j’ai travaillé pour avoir quelque chose. Aussi je dis qu’il faut avoir quelque chose pour être heureux, et je ne crache pas sur la richesse. M. Alphonse n’est pas un pauvre, mais enfin il nous a dit, quand il s’est établi céans, qu’il se retirait de la grande compagnie parce qu’il s’était ruiné à l’étranger, et nous voyons bien, malgré sa grande charité, car il donne au-dessus de ses moyens, qu’il a mis son restant dans un bout de terre qui ne fait pas une fameuse seigneurie. Dame, il y en a grand, et il y a de la belle herbe ; mais c’est tout raviné, et s’il y cueille de quoi remplir ses herbiers, il n’en tire pas beaucoup d’autre revenu. Alors, moi, je me dis : On parle du revenu de la famille Flamarande par cent mille et cent mille, Espérance a droit à la moitié du tout, et, pour des raisons de prince que les gens comme nous ne comprennent guère, vous allez le priver de son dû ! Ça n’est pas juste, et, foi d’homme, je ne vous promets point de ne pas lui dire, si je lui vois des ennuis : Mais vous êtes le comte de Flamarande, il n’y en a pas deux, il n’y a que vous.

— C’est bien, Ambroise, répondit M. de Salcède, qui l’avait écouté en souriant ; mais nos raisons de prince te paraîtront sérieuses lorsque tu sauras que je suis pour le moins aussi riche que l’était M. de Flamarande. Je n’ai jamais été ruiné. J’ai dû donner ce motif à mon établissement ici, et depuis quinze ans que j’y vis, — pas