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tomberez, me dit-elle, ne marchez pas ainsi. Je connais ce passage. Allez tranquillement, je vous suis.

Au bout de quelques minutes, comme j’étais surpris d’entendre un bruit sourd sous nos pieds : — Nous passons le torrent, me dit-elle, nous traversons l’arcade de rochers sous lesquels il s’engouffre. Personne autre que nous ne connaît ce passage, qui est un ouvrage ancien très solide. C’est Ambroise qui l’a découvert et qui a rétabli tout seul, en secret, la communication avec la chambre que j’occupe, et qui était celle des anciens seigneurs.

Je m’expliquai alors pourquoi Ambroise avait tant insisté pour avoir l’entreprise des travaux et la jouissance du donjon. Je me rappelai aussi ses fantastiques disparitions à l’époque de ces travaux.

Nous arrivâmes à un endroit où la comtesse voulut prendre la lanterne et passer devant. — Il y a ici, me dit-elle, un abîme à éviter. C’est pourquoi nous allons trouver une porte très solide que M. de Salcède a fait établir pour préserver les curieux du danger d’une exploration et en même temps pour mettre à l’abri le secret de ce passage, connu de nous seuls, de Gaston et d’Ambroise. Il est bon que vous le connaissiez, s’il doit nous servir encore dans quelque circonstance imprévue. Regardez bien où nous sommes.

Elle éleva la lanterne, et je vis à notre gauche un trou noir assez effrayant ; un petit parapet protégeait notre sentier. — Ambroise a trouvé là, me dit la comtesse, beaucoup d’ossemens humains, comme si cet abîme avait servi d’oubliette ou comme si ces grottes avaient été le théâtre d’un combat. La tradition n’en dit rien, mais l’espélunque a ses légendes de revenans, et les gens du pays ne s’y risqueraient pas volontiers.

J’ouvris assez facilement la petite porte de chêne clouté, qui tournait bien sur ses gonds, et je me retrouvai dans la partie de l’espélunque que j’avais jadis parcourue. — Ici, me dit-elle, le passage cesse d’être mystérieux, bien qu’il soit exclusivement réservé à M. de Salcède ; nous sommes sur ou plutôt sous ses terres. Marchons plus vite, Charles ; il n’y a aucun danger et aucun obstacle jusqu’à une autre grosse porte, vers laquelle nous nous dirigeons. Je me reconnaissais parfaitement, et nous arrivâmes à la porte du caveau, situé à la base de la construction du Refuge. Elle était fermée. — Sonnons, dit Mme de Flamarande.

Elle éleva le bras et toucha un bouton dont j’avais ignoré l’existence. Aussitôt la porte s’ouvrit, et, avant que nous eussions gravi l’escalier de bois, la trappe du salon fut levée. M. de Salcède, qui croyait ouvrir à Espérance, fut très surpris de nous voir.

— J’ai à vous parler, lui dit la comtesse, êtes-vous seul ?