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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 8.djvu/517

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FLAMARANDE.

— Oui, répondit-il , mais montez à ma chambre, car Espérance couche ici, et il peut rentrer plus tôt que je ne l’attends.

Nous montâmes à ce grand cabinet de travail que je connaissais si bien et où toutes choses étaient comme je les avais vues douze ans auparavant. J’avoue qu’en regardant le bureau de chêne dont j’avais violé le secret j’éprouvai un grand malaise. Je me sentais encore plus troublé en présence de M. de Salcède, et je pensais moins à observer sa manière d’être avec la comtesse que son attitude vis-à-vis de moi dans cette conférence intime. Il m’avait accueilli pourtant de l’air le plus naturel, et il m’invita à m’asseoir, sans paraître ni surpris ni contrarié de ma présence.

M me de Flamarande lui exposa l’objet de sa visite. Ce fut l’affaire de peu de mots et comme la suite des entretiens précédens. Le marquis était d’un calme qui semblait irriter un peu la comtesse, mais auquel je ne me trompais pas : c’était le parti-pris d’un cœur ferme, résolu à la sauver en dépit d’elle-même.

— Ne compliquons pas, lui dit-il, une situation déjà si difficile et dans laquelle il nous faut aviser et agir au jour le jour. Roger ne m’inquiète pas ; ce brillant esprit, ce caractère épris de mouvement et d’émotions, sera bien facile à distraire ; emmenez-le vite à Montesparre. Il n’y sera pas huit jours sans aspirer à revoir Paris. Je vous réponds qu’il ne songera pas à revenir ici. Ce qui presse le plus, c’est la déclaration que Gaston vous a faite de son mariage et qu’il va me faire tout à l’heure. C’est ici qu’il faut dire une fois pour toutes oui ou non. Je n’ai de droits sur lui que ceux dont vous m’investirez ; commandez-moi : dois-je dire non ?

La comtesse hésita et demanda au marquis ce qu’il répondrait à sa place.

— Vous ne me répondez pas, dit-il ; vous voulez mon avis, donc votre agitation ne vous a permis de rien conclure, et vous êtes entre le oui et le non, absolument irrésolue.

— C’est vrai, mon ami, je n’ai pas pesé les inconvéniens d’un pareil mariage. Je ne l’admets pas sans que Gaston soit éclairé sur la position sociale qu’il peut réclamer. C’est le seul point sur lequel ma conscience soit fixée ; mais sur ce point elle est inébranlable.

— Votre scrupule est très juste, répondit le marquis. En toute autre circonstance, il faudrait obéir à ce cri de votre cœur, à cette revendication de votre dignité ; mais ici je vous apporte un élément nouveau qui a persuadé Ambroise, le plus positif, par conséquent le plus récalcitrant de nos confidens : c’est la circonstance de mon adoption qui dédommage largement Gaston. En doutez-vous ? tenez, voici les titres de ma fortune qu’avec le temps j’ai pu réaliser et mettre à l’abri de toute revendication de ma famille ; je n’ai point

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