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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 8.djvu/747

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FLAMARANDE.

Tout était donc consommé, et cette ivresse de joie dont j’avais été attendri moi-même était le fruit d’un mensonge ! À mes yeux, tout était perdu, puisque tout le monde allait être mis d’accord par l’ingénieuse,… dirai-je par l’ingénue explication de l’abbé Ferras ! Mme de Flamarande ne résisterait pas à l’entraînement de Roger ; elle accepterait sans scrupule le thème fourni par Roger lui-même, que le comte de Flamarande était fou. On y croirait d’autant plus aisément qu’on le savait bizarre. Il n’avait pas su se faire aimer. Il avait blessé beaucoup d’amours-propres qui prendraient leur revanche. La cause du duel avec M. de Salcède resterait à jamais ignorée. On rappellerait qu’avant son mariage M. le comte avait eu d’autres affaires d’honneur pour des motifs frivoles, où il avait été l’offenseur par des paroles agressives. Dans toute l’histoire de l’exil de Gaston, le nom de Salcède ne serait sans doute jamais prononcé. Mme la comtesse avait eu depuis une vie si retirée et si austère que l’opinion était pour elle et qu’elle n’avait rien à craindre en faisant reparaître officiellement son fils aîné. Le souvenir d’un mort qui n’avait point eu d’amis serait sacrifié à la réhabilitation d’un fils intéressant, et Roger serait le premier à immoler la mémoire de son père pour légitimer le fils de M. de Salcède !

Je me tordais les mains en faisant ces réflexions amères. J’étais le seul qui pût sauver la situation et faire triompher la vérité, car Ambroise et l’abbé Ferras croyaient fermement à l’innocence de la comtesse, et M’ue de Montesparre était trop grande et trop généreuse pour parler. D’ailleurs elle n’avait que des doutes, et moi, moi seul, j’avais une certitude, j’avais une preuve !

LXIX.

Que faire ? Agir sur Roger, l’éclairer, lui faire maudire et mépriser sa mère ? Tout mon être protestait contre cette extrémité, d’autant plus que la comtesse, par sa confiance et sa bonté, m’avait inspiré une véritable affection, et que sa soumission aux honnêtes conseils de Salcède donnait gain de cause à mes intentions. Que faire, mon Dieu ? me disais-je en m’appuyant sur la tombe de M. de Flamarande, et involontairement ma bouche murmurait ces mots : « que faire, monsieur le comte ? »

Je m’exaltais dans mon angoisse. Il me sembla qu’une voix intérieure me répondait de la part de ce maître que je n’avais peut-être pas assez fidèlement servi. — Confident rebelle, me disait cette voix, tu as négligé la tâche que je t’avais confiée. Tu t’es laissé émouvoir par des larmes de femme ; tu as, sans me consulter, placé l’enfant illégitime dans des conditions où il était facile à sa mère de le retrouver. Tu as su qu’elle le revoyait, qu’elle revoyait