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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/550

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devant la nature, rien des inquiétudes passionnées qui agitent les romantiques, La Berge, Paul Huet, Jules Dupré, rien de l’esprit d’observation précise qui tourmente les naturalistes, Théodore Rousseau, Millet. Ce doux poète, aux tendresses virgiliennes, restera toute sa vie un pur classique, dans ses compositions idylliques, par le rythme bien équilibré de ses masses, par la sobriété de ses indications adoucies, par la douceur de ses enveloppes harmoniques, autant et plus que par la grâce antique des nymphes et des dryades qu’il se plaît à y évoquer. N’est-ce point même par ces qualités scolaires, correspondant si bien à notre culture latine, par l’aisance aussi et par la souplesse aimable avec laquelle il enveloppe des généralités connues dans une exquise lumière, qu’il se fait si aisément et si universellement comprendre ? Il est certain que ses beaux morceaux, le Bain de Diane, la Ronde de Nymphes, les Baigneuses, la Biblis, où il reste fidèle aux rêveries mythologiques jusqu’à la mort, possèdent, malgré la banalité des arrangemens, un charme incomparable par la sincérité délicate de l’émotion poétique. Corot reste encore bien classique par la tranquillité heureuse avec laquelle il impose son interprétation personnelle aux objets qu’il étudie. Qu’il rêve à Ville-d’Avray, qu’il rêve dans la campagne romaine, c’est toujours le même rêve qui se prolonge, un rêve délicieux, léger, insinuant, qui, en flottant autour des choses, leur enlève leurs aspérités et leurs individualités, pour les concilier et les confondre dans l’unité idéale d’une sérénité harmonieuse.

Les vrais romantiques et les vrais naturalistes eurent d’autres façons d’agir. C’est avec passion et avec scrupules, avec une inquiétude qui, chez quelques-uns, comme chez La Berge, tourne à l’angoisse, avec une soumission qui, chez les plus grands, comme chez Th. Rousseau, devient de l’humilité, qu’ils se mirent à étudier la terre, les eaux et le ciel. Les paysagistes anglais, qui exposèrent en 1822 à Paris, leur avaient révélé, par leur manière brillante, libre, passionnée, l’insuffisance des procédés en usage et tourné leurs yeux vers les vieux Hollandais et Flamands, dont ils procédaient eux-mêmes. Paul Huet, C. Flers, MM. Jules Dupré, Cabat, les premiers, entrèrent en lice. Paul Huet expose dès 1827 ; il est salué, en 1830, par Sainte-Beuve comme un rénovateur ; c’est entre 1830 et 1840 que s’établit sa réputation. Voici la Vue générale de Rouen, du Salon de 1833, où Gustave Planche admirait « l’habile combinaison des lignes, l’immensité de la perspective, la forme heureuse et vraie des dunes, la solidité des premiers plans, la pâte légère et floconneuse du ciel ne laissant rien à désirer. » Cette belle peinture a gardé sa force, sa majesté et sa