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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/551

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chaleur. Les Bords de l’Allier, par C. Flers, dénotent une personnalité moins puissante ; Fiers fut pourtant, à ce moment, un de ceux qui indiquèrent le plus simplement la bonne route à prendre. Les deux petites toiles de M. Cabat, le Jardin Beaujon (1834), le Buisson (1835), d’une exécution si consciencieuse et si fouillée, nous ravissent encore aujourd’hui par l’intensité et la sincérité d’observation qu’elles supposent ; on ne peut être surpris du succès qu’elles obtinrent parmi les esprits indépendans. M. Jules Dupré a une exposition considérable, comprenant douze toiles anciennes et quatre toiles récentes. Pour lui, comme pour Corot, cette exposition est un triomphe, mais de tout autre genre. Ce qu’il faut admirer en lui, depuis 1830 jusqu’en 1889, pendant soixante années de production, c’est l’énergie opiniâtre avec laquelle cet observateur passionné s’est efforcé de nous révéler la grandeur intime et profonde qui éclate, pour le grand artiste, dans les spectacles les plus communs d’une nature peu accidentée, les plaines de Normandie ou les plaines d’Angleterre. Autant Corot met de discrétion à nous communiquer rapidement ses impressions douces et vagues, autant M. Jules Dupré met d’insistance, une insistance parfois pénible, mais toujours grave et pénétrante, à nous préciser les siennes, qui sont toujours fortes et nettes. Dans les Environs de Southampton et les Pacages du Limousin, de 1835, deux toiles d’une couleur énergique et d’une ordonnance grandiose, la structure des arbres, des terrains, des nuages, est accentuée avec une résolution hautaine qui ne nous paraît dure, peut-être, que parce que, depuis un certain temps, nos yeux se sont amollis au contact des délayages impressionnistes. Mais qui retiendrait un cri d’admiration devant la Mare dans la forêt de Compiègne au soleil couchant ? Quelle fermeté dans ces branchages ! quelle souplesse, en même temps, dans ces feuillées ! Comme tout cela miroite, frémit, s’apaise sous la dernière caresse, chaude, lente, passionnée, des rayons mourans ! Et l’Orage en mer ! Trouverait-on dans Delacroix même une orchestration si hardie des verts : le vert des eaux, le vert du ciel ? Encore chez Delacroix soupçonnerait-on, peut-être avec raison, cette harmonie d’être une conception cérébrale plutôt qu’une observation visuelle, une invention séduisante du coloriste plutôt qu’une constatation rigoureuse du paysagiste ! Chez Jules Dupré on sent, au contraire, sous le labeur audacieux du rendu, une intensité d’exactitude et un acharnement de conscience vraiment merveilleux et touchans. Dans cet Orage en mer, la force lente, sûre, irrésistible de tous les élémens déchaînés est exprimée, sans fracas de brosse, sans tumulte de couleurs, avec une puissance extraordinaire. Jules Dupré, de tous nos paysagistes,