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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/651

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également que le chagrin l’avait rendu malade. Un spécialiste et le chirurgien du donjon le soignèrent.

Cependant le lieutenant de police revenait le voir, lui renouvelait l’assurance de sa protection et lui conseillait d’écrire directement à Mme de Pompadour. Voici la lettre du prisonnier :

A Vincennes 4 novembre 1749.

Madame,

Si la misère, pressé par la faim, m’a fait commettre une faute contre votre chère personne, ça n’a point été dans le dessein de vous faire aucun mal. Dieu m’est témoin. Si sa divine bonté voulait aujourd’hui, en ma faveur, vous faire connaître mon âme repentant de sa très grande faute et les larmes que je répands depuis cent quatre-vingt-huit jours à l’aspect des grilles de fer, vous auriez pitié de moi, madame, au nom de Dieu qui vous éclaire. Que votre juste courroux daigne s’apaiser sur mon repentir, sur ma misère, sur mes pleurs ; un jour Dieu vous récompensera de votre humanité. Vous pouvez tout, madame. Dieu vous a donné pouvoir auprès du plus grand roy de la terre, son bien-aymé : il est miséricordieux, il n’est point cruel, il est chrétien. Si sa divine puissance me fait la grâce d’obtenir de votre générosité la liberté, je mourray plutôt et mangerai que des racines, avant que de l’exposer une seconde fois. J’ay fondé toutes mes espérances sur votre charité chrétienne, soyez sensible à ma prière, ne m’abandonnez point à mon malheureux sort. J’espère en vous, madame, et Dieu me fera la grâce que toutes mes prières seront exaucées pour accomplir tous les désirs que votre chère personne souhaite.

J’ay l’honneur d’être, avec un repentir digne de grâce,

Madame,

Votre très humble et très obéissant serviteur, DANRY.

Nous avons cité cette lettre avec plaisir ; elle se distingue avantageusement de toutes celles que le prisonnier écrivit plus tard, que l’on a publiées. Il est vrai que Danry ne voulait pas attenter aux jours de la favorite ; bientôt, devenant plus hardi, il écrira à Mme de Pompadour que, s’il lui a adressé cette boite à Versailles, c’était par dévoûment pour elle, pour la mettre en garde contre les entreprises de ses ennemis, « pour lui sauver la vie. »

La lettre du prisonnier fut remise à la marquise, mais demeura sans résultat. Danry perdit patience, il résolut de se procurer lui-même la liberté qu’on lui refusait : le 15 juin 1750, il s’était évadé.