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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/652

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II

Il a raconté dans ses Mémoires cette première évasion du donjon de Vincennes d’une manière aussi spirituelle que fantaisiste. Il échappa à ses geôliers le plus simplement du monde. Étant descendu au jardin à l’heure de sa promenade, il y trouva un épagneul noir qui faisait des bonds en aboyant. Il arriva que le chien se dressa contre la porte d’entrée du donjon et la poussa de ses pattes. La porte était ouverte. Danry sortit, passa devant les sentinelles qui ne firent aucune attention à lui, et il se mit à courir à travers champs. Il courut droit devant lui, à toute vitesse, « jusqu’à ce qu’il fût tombé par terre de fatigue du côté de Saint-Denis, vers les quatre heures après-midi. »

Il resta dans cette situation jusqu’à neuf heures du soir. Puis il prit le chemin de Paris et passa la nuit sur le bord de l’aqueduc du côté de la porte Saint-Denis. Au point du jour il entra dans la ville.

Nous savons quelle importance la cour attachait à la détention du prisonnier, elle espérait encore qu’il se déciderait à parler de ce grave complot dont il possédait le secret. D’Argenson écrit immédiatement à Berryer. « Rien n’est plus important ni plus pressé que d’user de toutes les voies imaginables pour tâcher de rattraper le prisonnier. » Et toute la police se met sur pied ; le signalement du fugitif est imprimé à un grand nombre d’exemplaires. L’inspecteur Rulhière l’envoie à toutes les maréchaussées.

Danry s’était logé chez Cocardon, au Soleil d’or ; mais il n’ose demeurer plus de deux jours dans la même auberge, il pense que son camarade Binguet lui viendra en aide : Binguet ne se soucie plus de la Bastille. C’est une jolie fille, Anne Benoist, que Danry a connue au temps où il logeait chez Charmeleux, qui se dévoue à lui tout entière. Elle sait fort bien qu’elle risque d’être mise elle-même en prison, et déjà des inconnus de mauvaise mise sont venus demander au Soleil d’or qui elle était. Qu’importe ! elle trouve assistance chez des compagnes ; les jeunes filles portent les lettres, se mettent en quête d’un gîte bien sûr. En attendant, Danry va passer la nuit sous les aqueducs ; dès le lendemain il va s’enfermer dans le nouveau logement que ces demoiselles lui ont choisi, il y demeure deux jours sans sortir : Annette lui vient tenir compagnie. Mais le jeune homme n’a plus d’argent, comment paiera-t-il son écot ? « Que faire, que devenir ? dit-il plus tard ; j’étais sûr d’être découvert si je me montrais, si je fuyais je courais également des