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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/653

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risques. » Il écrit au docteur Quesnay, qui lui témoigna tant de bontés à Vincennes, mais la police a eu vent de cette correspondance, et Saint-Marc vient saisir le fugitif dans l’auberge où il est caché. Le malheureux est ramené à la Bastille. Annette se voit arrêter chez Cocardon au moment où elle demandait les lettres venues pour Danry ; elle est enfermée à la Bastille aussi. Les porte-clés et les sentinelles de Vincennes, de service le jour de l’évasion, sont jetés au cachot.

En se sauvant de Vincennes, Danry avait doublé la gravité de sa faute. Les règlemens voulaient qu’il fût descendu au cachot, réservé aux prisonniers insubordonnés. « M. Berryer vint encore adoucir mes maux, au dehors il demandait pour moi justice ou clémence, dans ma prison il cherchait à calmer ma douleur, elle me paraissait moins vive quand il m’assurait qu’il la partageait. » Le lieutenant de police ordonna que le prisonnier fût nourri comme par le passé, qu’on lui laissât ses livres, du papier, ses bibelots, et les deux heures de promenade dont il jouissait à Vincennes. En retour de ces bontés, le garçon chirurgien envoya au magistrat « un remède contre les accès de goutte. » Il demandait en même temps qu’on lui permit d’élever des petits oiseaux dont le gazouillement et l’animation le distrairaient. La demande lui fut accordée. Mais au lieu de prendre sa peine en patience, Danry s’irritait de jour en jour. Il se laissait aller à sa nature violente, faisait du vacarme, criait, se démenait, à faire croire aux ministres qu’il devenait fou. Sur les livres de la bibliothèque de la Bastille qui passaient de chambre en chambre, il écrivait des poésies injurieuses contre la marquise de Pompadour. Il prolongeait ainsi son séjour dans le cachot. Peu à peu ses lettres changeaient de ton. « C’est un peu fort qu’on me laisse quatorze mois en prison et une année entière qui finit aujourd’hui dans un cachot où je suis encore. »

Cependant Berryer le remit dans une bonne chambre vers la fin de l’année 1751. En même temps il lui donna, rare privilège, un domestique pour le servir.

Quant à Annette Benoît, elle avait été mise en liberté après quinze jours de détention. Le domestique de Danry tomba malade ; comme on ne voulait pas que le prisonnier manquât de société, on lui donna un compagnon de chambre. C’était un nommé Antoine Allègre, détenu depuis le 29 mai 1750. Les circonstances qui avaient déterminé son incarcération avaient été à peu près les mêmes que celles qui avaient fait enfermer Danry. Allègre était maître de pension à Marseille lorsqu’il apprit que les ennemis de la marquise de Pompadour cherchaient à la faire périr. Il imagina un complot où il mêla Maurepas, l’archevêque d’Albi et l’évêque de Lodève, envoya