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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 121.djvu/118

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municipal, cette institution logique, moderne, populaire, vivace comme tous les organes nés du besoin. Ce trait achève, n’est-ce pas ? la Chambre héréditaire, et il n’y a plus qu’à tirer l’échelle. La conclusion est laissée à ce qu’on appelle « l’intelligence » du lecteur. Elle est très simple. La Chambre des lords ne sert à rien, si ce n’est à faire du mal : supprimons-la.

M. Gladstone, dans le discours d’Edimbourg, lui reconnaît le « droit abstrait » de rejeter les bills qui viennent de la Chambre des communes. Qu’est-ce qu’un droit abstrait ? Est-ce un droit dont on ne peut pas faire usage ? Est-ce un droit pareil à celui que la reine possède de refuser sa sanction aux lois votées par les deux Chambres ? Non évidemment, car la couronne n’a pas usé de son veto depuis cent-quatre-vingt-six ans, et, si elle en usait de main, il y aurait une révolution ; tandis que la Chambre des pairs a usé de son pouvoir législatif plus de cent fois dans ce siècle, et personne n’a bougé. Ce n’est donc pas un droit « abstrait », comme il plaît au premier ministre de le baptiser, mais un droit « effectif ». La question est de savoir si elle s’en sert pour faire du mal, et s’il faut le lui arracher des mains.

Ceux qui y regarderont de près verront que, si la Chambre des lords n’a imprimé son estampille à aucune grande et large mesure de liberté et de justice, elle a quelquefois pris en considération des résolutions utiles, soulevé des problèmes intéressans, institué des enquêtes sérieuses, introduit de judicieux amendemens dans les lois qui lui étaient soumises. Ne pouvant tout discuter, je choisis un exemple, et, pour qu’il soit significatif, je l’emprunte à l’un des plus mauvais cas qui lui soient reprochés par ses ennemis. Il s’agit de l’abrogation des fameuses lois pénales contre les catholiques irlandais. Lois abominables, pires que les actes de proscription enfantés par le cerveau scélérat de Henry VIII, plus cruelles que la pique des soldats d’Ormond, de Mountjoy et de Cromwell qui pendaient les femmes enceintes et égorgeaient les enfans à la mamelle. Ces lois pénales, c’était la démoralisation lente, l’empoisonnement de l’âme d’une nation. Elles ne faisaient pas seulement un crime d’avoir dit, servi ou entendu la messe ; elles récompensaient la délation et la trahison, installaient l’illégitimité et la bâtardise au foyer des honnêtes gens, rompaient les liens du mariage au bénéfice de l’époux ou de l’épouse adultère qui reniait sa foi religieuse, faisaient hériter d’un père vivant le misérable fils qui l’avait dénoncé. Ces lois, il est vrai, n’avaient guère été exécutées et, depuis longtemps, elles étaient lettre morte ; cependant elles déshonoraient le Statute-book et, quand on vient à apprendre qu’en 1844 la Chambre des lords faisait des difficultés pour les supprimer, ce n’est pas de