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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 121.djvu/155

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du Tage ; l’occasion de se décider était offerte au gouvernement portugais : s’opposerait-il à l’entrée du convoi ? Sa conduite ici fut éloquente : il ne prit aucune mesure, et les bâtimens britanniques se rangèrent paisiblement dans le port. Junot se rendit aussitôt chez M. d’Araujo et lui reprocha sa faiblesse ; au lendemain de sa note, une telle complaisance n’attestait en effet que trop les dispositions du cabinet. L’ambassadeur les connaissait bien sans doute, mais il n’en usa pas moins avec énergie de cet argument pour démontrer au ministre combien la neutralité portugaise était illusoire, puisque le séjour et le ravitaillement de la marine anglaise ne rencontraient aucune difficulté dans la capitale même du royaume. Il fit pressentir le mécontentement de l’empereur. M. d’Araujo se confondit en excuses : il n’avait pas été prévenu, la flotte anglaise ne devait rester que peu de jours, les équipages ne seraient point débarqués. Junot n’accepta point ces explications et envoya, le 7 mai, au ministre une nouvelle note qui se terminait par ces paroles menaçantes : « Si les troupes anglaises n’ont aucun projet concerté avec le Portugal, pourquoi entrent-elles dans ce port ? Si elles viennent pour l’occuper, la mission de l’ambassadeur est finie[1]. »

M. d’Araujo était dans le plus cruel embarras en présence des deux communications de Junot. Il ne pouvait se dérober à la proposition d’alliance qu’en affirmant la neutralité, et d’autre part le peu de consistance de la neutralité était prouvé par le fait même qu’on avait sous les yeux, à savoir l’entrée d’un convoi de troupes et de munitions dont les intentions étaient étrangement suspectes. L’impérieux langage de l’ambassadeur l’obligeait cependant à donner une réponse prompte aux notes du 3 et du 7. En vrai diplomate, il s’en tira par d’ingénieux artifices de langage, et estimant plus urgent de fournir d’abord des explications sur l’incident anglais, il commença par protester contre tout soupçon de connivence avec le cabine ! britannique : « Le prince régent, dit-il, ne consentira jamais à un débarquement de troupes anglaises… les ordres sont donnés pour repousser une telle trahison. » Il déclara en outre qu’il n’y avait rien, en cette circonstance fortuite, dont il atténuait avec soin le caractère, « qui pût altérer la bonne harmonie que S. A. R. désire toujours conserver avec S. M. l’empereur[2]. » Le lendemain, considérant sans doute qu’il avait suffisamment dégagé sa responsabilité dans la question du convoi, il aborda l’examen des propositions politiques du gouvernement impérial. Il le lit sous la forme la plus courtoise, mais

  1. Arch. des Affaires étrangères. Note de Junot à M. d’Araujo, 7 mai 1805.
  2. Ibid. Note de M. d’Araujo à Junot, même jour.