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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 121.djvu/327

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L’empereur de Russie ayant résisté à ces raisons et persisté dans son refus de céder la ligne de la Wartha et de la Néva, les négociations devinrent de plus en plus aigres et difficiles. Toutefois Alexandre, en prétendant garder ce qu’il occupait en Pologne, avait fait connaître son intention d’en composer un royaume à part sur lequel les empereurs de Russie régneraient comme sur l’empire russe, mais qui serait régi par des lois et une constitution particulières. L’annonce d’une telle intention était une démarche conciliante : on affecta d’y voir la preuve qu’il ne serait pas impossible d’arriver un peu plus tard à l’abandon complet. M. de Metternich, dans sa note, n’avait pas manqué de demander que l’empereur de Russie prît des engagemens positifs relativement à la constitution qui devait être donnée à la Pologne. Il avait encore réclamé la libre navigation de la Vistule. Quoi qu’on puisse penser de toutes ces prévisions plus ou moins avisées, l’empereur Alexandre ne négligea pas les avantages que devait lui procurer, sous d’autres rapports, la grande concession qu’il était résolu de faire aux Polonais ; vers le milieu de décembre, il leur envoya son frère Constantin, avec mission de leur annoncer qu’une existence politique séparée leur serait assurée, et de les engager à s’armer pour la défendre, s’il en était besoin.

La proclamation que le grand-duc Constantin publia en arrivant à Varsovie semblait donc annoncer une rupture prochaine. M. de Talleyrand, de son côté, prit une attitude plus prononcée et fit un pas décisif. Il adressa, le 19 décembre, à M. de Metternich, président[1] de la réunion des huit puissances, une note où il déclarait que le vœu du roi son maître était que l’œuvre de la Restauration s’accomplît par toute l’Europe comme pour la France ; que, partout et pour jamais, l’esprit de révolution fût réprimé : que tout droit légitime fût conservé ou rétabli : et que les territoires vacans fussent distribués conformément aux principes de l’équilibre politique. La disposition qu’on prétend faire du royaume de Saxe serait, disait-il, pernicieuse comme exemple, elle le serait encore par son influence sur l’équilibre de l’Europe : 1° en créant contre la Bohème une force d’agression trop grande et en menaçant aussi la sûreté de l’Autriche entière ; 2° en créant au sein du corps germanique, et pour un de ses membres, une force d’agression hors de proportion avec la force de résistance de tous les autres. L’opinion de la France, ajoutait-il, n’est pourtant pas qu’une portion de la Saxe ne doive pas être cédée à la Prusse : il lui semble que l’Autriche, dans ses notes, a indiqué la juste mesure de cette cession.

  1. Cette présidence lui avait été déférée d’un commun accord à la fin d’octobre.