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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 121.djvu/39

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nation… Tout ce qui s’est osé rêvé, traîné, chanté en son nom, tout cela, vu de près, n’est qu’une variante de cet éternel projet des peuples de s’appartenir. » Sans doute ! L’indépendance d’un peuple est la première et la plus précieuse de ses libertés ; mais voici que le communisme l’immole avec toutes les autres. Cette nation compacte, homogène, que l’affinité des races, la situation géographique, la communauté des traditions, des croyances, des souffrances, des intérêts, le sang versé sur les mêmes champs de bataille, un même patrimoine intellectuel, un même trésor de gloire, ont lentement formée, dont on ne peut distraire une parcelle sans la défigurer et sans l’atteindre jusqu’au fond du cœur, elle s’absorbe, elle s’abîme dans la confusion de toutes les races, elle se perd dans un gigantesque chaos. A l’indépendance des nations et, par conséquent, des membres qui composent chacune d’elles succède la complète unité dans l’absolue servitude[1]. Tel est probablement le rêve des « internationalistes » qui, dans un journal français, le Parti ouvrier, s’efforcent de ruiner la superstition nationale et de ceux qui provoquèrent, après les dernières élections législatives, une bagarre sanglante dans les rues de Roubaix en poussant, ce cri de ralliement : A bas la Patrie ! ou, d’après une autre version : A bas les patriotards[2] !


II

Le collectivisme — du moins celui que l’ancien ministre au trichien Schœffle a décrit dans sa Quintessence du socialisme — diffère du communisme proprement dit en ce qu’il fait entrer en ligne de compte dans la répartition des produits non seulement la quantité, mais la valeur du travail accompli par chaque ouvrier. Il affecte, en outre, de conserver à chacun la libre détermination de ses besoins. Il se vante de ne pas supprimer complètement la richesse individuelle, détruisant la propriété privée des moyens de production, mais respectant la propriété privée des moyens de consommation, mettant en commun les moyens de production et non les produits. Il supprimerait la monnaie ; mais, voulant conserver la mesure des valeurs, il lui substituerait des bons représentant l’unité de temps du travail social, eux-mêmes susceptibles de former une épargne, non un capital. Il permettrait donc une certaine épargne individuelle, non reproductive, en

  1. Cette partie de la thèse communiste est vivement combattue par quelques « indépendans » et notamment par M. Protot.
  2. M. J. Guesdo, dans une lettre adressée au Temps, reconnaît qu’on a pu pousser le second cri, mais non le premier. (11 septembre 1893.)