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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 121.djvu/40

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même temps qu’il instituerait l’épargne collective ; celle-ci sous sa forme la plus perfectionnée et reproductive. Le collectivisme déclare même qu’il respecterait l’héritage[1]. Toutefois la ressemblance est grande entre les deux systèmes, et nous excusons volontiers les « socialistes révolutionnaires » français de prendre sans cesse dans le langage courant un mot pour l’autre[2]. La liberté de l’homme et du citoyen est, sous l’un comme sous l’autre régime, anéantie.

Le collectivisme le plus modéré met tout au moins en commun la terre et les immeubles. Il débute donc, de toute nécessité, par une expropriation générale du sol, c’est-à-dire par une immense violation du droit. En effet, il est absolument démontré que les 100, 120 ou 150 milliards à emprunter par l’État français, s’il voulait indemniser pleinement les propriétaires actuels (un pareil emprunt ne pouvant se négocier qu’à un taux fort élevé), lui coûteraient annuellement un ou deux milliards de plus que ne rapporteraient les terres expropriées[3], et d’ailleurs cette opération gigantesque d’emprunt serait impossible, parce qu’il ne se rencontre pas dans tout le pays une somme de capitaux circulans disponibles, mobilisables, équivalente à la valeur des terres. Il faut donc trouver un expédient, et l’on en propose un certain nombre. L’État pourrait, comme l’y invite M. Gide[4], n’acquérir ces terres des particuliers que fort au-dessous de leur valeur. Il pourrait encore recourir au système des annuités terminables, imaginé par Schœffle : on payerait, par exemple, à l’exproprié, pendant quatre-vingt-dix-neuf ans, une somme égale à la rente de sa terre et, ce terme expiré, la communauté serait dégagée de toute indemnité. Ce sont deux formes, bien peu déguisées, de la spoliation, puisque, dans l’un comme dans l’autre cas, l’État donne le moins pour le plus, la partie pour le tout[5]. C’est un acte de tyrannie violente, proscrit non seulement par la déclaration des droits de 1791, mais encore par celle de 1793, où sont inscrites ces deux maximes : « La loi doit protéger la liberté publique et individuelle contre l’oppression de ceux qui gouvernent… Nul ne peut être privé de la moindre portion de sa propriété sans son consentement, si ce n’est lorsque la nécessité publique légalement constatée l’exige, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité. »

  1. P. Leroy-Beaulieu, Le Collectivisme, p. 8.
  2. Comp. Alfred Jourdan, Le rôle de l’État dans l’ordre économique, p. 331 et 355.
  3. Voir P. Leroy-Beaulieu, Ib., p. 168.
  4. De quelques nouvelles doctrines sur la propriété foncière, p. 10.
  5. Comp. P. Leroy-Beaulieu, Ib., p. 170.