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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 121.djvu/661

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IV

L’Ancien Régime est la contre-partie et comme la contre-épreuve de la Démocratie en Amérique. La Démocratie est une analyse de l’état démocratique, l’Ancien Régime est une enquête sur la manière dont les Français ont passé de l’état monarchique à la démocratie. Ce second livre, Tocqueville l’a fait comme le premier, par observation directe. Il avait voyagé en Amérique : il voyagea dans l’ancien régime. Il ne lut uniquement que des archives. Il se mit en face de la Normandie, de la Touraine, du Languedoc vivans, au cours du XVIIIe siècle, et il les regarda vivre. Il fut surpris. On part toujours d’une idée préconçue ; seulement, quand on est un faible esprit, on s’y tient toujours ; quand on est un esprit à la fois vigoureux et probe, ou l’on s’y tient ou on y renonce, selon ce qu’on découvre. Il était parti de cette idée, très répandue, je ne dis pas dans son parti, car il ne fut jamais d’aucun parti, mais dans sa classe, vers 1830, que c’était la Révolution française qui avait centralisé la France, et par conséquent fondé ou rendu facile le despotisme dans ce pays, qu’avant la Révolution il y avait sur la surface du pays une foule de libertés tant locales que corporatives qui étaient à la volonté centrale des limites et des digues, et que l’œuvre de la Révolution n’avait été que de détruire toutes ces franchises. Il ne tarda pas, en présence des faits bien étudiés, à rectifier ces notions où il y avait beaucoup de vrai et beaucoup de faux, et il a donné de l’œuvre révolutionnaire en ses grandes lignes le tableau le plus vrai et le plus précis que je sache, encore qu’il n’ait pas eu le temps d’entrer dans l’histoire proprement dite de la Révolution. Avant la Révolution il y avait en France trois gouvernemens : 1° un gouvernement central, le roi et son conseil, menant la France par les ministres et les intendans, l’administrant jusque dans le plus petit détail, la réglementant, la faisant servir et la faisant payer, bref un gouvernement moderne, centralisant, attractif et absorbant ; — 2° un gouvernement féodal, s’exerçant plus ou moins fortement ici ou là, imposant des servitudes locales, des taxes ou des obligations particulières, des gênes et des humiliations plutôt que des sujétions, très peu fort, mais embarrassant, encombrant et irritant ; — 3° des institutions provinciales libres, survivant sur un certain nombre de points, d’une façon étendue seulement en Bretagne et en Languedoc. Ces trois gouvernemens, l’un produit à la fois et agent de la centralisation moderne, les deux autres débris du passé, se gênaient et s’entravaient les uns les autres : mais le premier était