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des communes, l’argent des provinces, c’est le trésor de guerre, qu’il ne faut pas qu’elles épuisent, ou dissipent, ou compromettent. — Mais pourquoi les supposer prodigues ? — Elles ne le sont pas ; elles dépensent dans la mesure de leurs ressources ; mais elles ne songent et ne peuvent songer qu’à leurs ressources et à leurs besoins. L’Etat seul est l’Etat, et peut songer aux besoins généraux, aux périls futurs, aux complications internationales, et, dans cette considération, obliger les provinces à être économes, non dans la mesure de leur utilité, mais de la sienne.

C’est ainsi que l’administration la plus locale est déjà de la politique, et de la politique la plus grave, la plus mêlée à l’intérêt général, et que la distinction entre centralisation administrative et centralisation politique est vaine dans les pays européens. Tocqueville, qui connaît l’objection, ou la prévoit, ou est capable de la faire lui-même, nous répond par l’exemple du Languedoc, pays d’Etat, c’est-à-dire administrativement autonome sous l’ancien régime. Il dépensait beaucoup pour lui, étant très riche, et le pouvoir central, le conseil du roi, s’en effrayait, faisait des représentations. Dans ses réponses, le Languedoc prouvait que la grande majorité de ses dépenses, et les plus grosses, avaient été faites autant et plus dans un intérêt général, dans un intérêt français, que dans un intérêt languedocien. C’était vrai ; mais cela prouve peu. Cela prouve pour une grande province, qui, dans ce cas, est comme une alliée intime de la France, comme une Hongrie dans un empire d’Autriche. Dans ce cas, — et encore ne faudrait-il pas s’y fier trop, — le sentiment national et le sentiment provincial peuvent s’unir. Mais la petite province, le canton, la commune, sont incapables de cette généralité et de cette compréhension dans leurs desseins. Si la Révolution, en créant les 86 départemens, a voulu rendre nécessaire la centralisation qu’elle chéris sait, elle en a pris le très bon moyen. — Dira-t-on qu’alors c’est la France divisée en cinq ou six grandes provinces administrativement autonomes qu’il faut rêver, et arriver à faire ? Si elle était faite ainsi, il faudrait la garder telle ; mais les provinces, toutes sauf deux, ayant déjà en 1789 perdu depuis près de deux siècles ce caractère d’Etats administrativement autonomes, ce serait une œuvre tout à fait factice que d’essayer de le leur rendre, et pour en revenir au département, au canton, à la commune, tels qu’ils sont maintenant, ce sont des agglomérations trop petites pour qu’elles aient, dans leur administration, l’esprit politique nécessaire à la bien mener sans tutelle.

Remarquez, d’ailleurs, un fait curieux. Démocraties et centralisation sont tellement connexes que la démocratie rend