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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 124.djvu/201

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en action, et, dans cette action, faire intervenir leur entourage végétal et animal. On voit donc, d’en bas, s’élancer vers le haut un énorme crocodile qui a déjà renversé, dans les hautes herbes, un jeune homme évanoui. Le monstre lève sa gueule béante vers une femme épouvantée, qui se jette en arrière, serrant dans ses bras deux enfans en pleurs. À droite, debout sur un rocher, un homme vigoureux, le père et l’époux, d’un mouvement sûr et prompt, repousse la bête, en lui enfonçant entre les mâchoires l’extrémité d’une longue lance. La scène est claire et saisissante ; certaines parties, d’une saillie énergique, sont traitées en ronde bosse ; les bras tendus du Nubien, la tête et le bras pendans du fils renversé, la longue queue du crocodile ; elles débordent le cadre et contribuent à donner à l’ensemble, par leurs vives silhouettes, un mouvement savamment rythmé. Il va sans dire que l’exactitude des formes et des types est celle qu’on peut attendre de la part de cet artiste consciencieux et expérimenté ; peut-être même, dans aucune de ses œuvres antérieures, n’a-t-il apporté plus d’aisance et de souplesse, une plus libre et plus simple possession de son talent. L’autre ouvrage destiné au Muséum, le groupe en bronze d’un Homme luttant avec un serpent, par M. Jules Thomas, offre également dans ses silhouettes nettes et décidées, dans la fermeté et la justesse du mouvement, dans la solidité et dans la vérité des formes, des qualités sculpturales de premier ordre qui, pour n’être point de celles que la mode affolée demande aujourd’hui à la sculpture inquiète, n’en sont pas moins les plus nécessaires et les plus durables.

Les divers monumens destinés à des places publiques, dans des villes du Nord et du Midi, sont presque tous exécutés suivant une formule qui a produit quelques bonnes œuvres, mais dont la banalité commence à devenir insupportable. Un personnage quelconque étant donné, vous posez simplement, sur un socle ou une colonne, soit sa statue entière, si l’homme en vaut la peine et si vous avez des fonds suffisans, soit son buste, si c’est un comparse et si vous êtes pauvre. Au pied du socle et de la colonne, vous posez une figure soi-disant allégorique qui tend une palme, et le tour est fait. Les artistes ingénieux donnent à cette figure accessoire le rôle principal et un type bien déterminé : c’est ce qu’a fait M. Frémiet, au jardin du Louvre, dans son monument de Raffet, où Raffet tient peu de place, mais où le tambour, battant sa caisse, qui tourne autour de la colonne, ne nous permet point de méprise sur le caractère militaire du personnage représenté. M. Cordonnier a donné plus d’importance encore, dans son Monument de Testelin, aux trois troupiers, en pied, sonnant la charge et s’élançant vers l’ennemi, qui entourent le piédestal, et à la Gloire