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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 124.djvu/262

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peut que Savonarole ait dû son éclatante réhabilitation dans la demeure des papes, dix ans après sa condamnation à mort comme hérétique, avant tout à la rancune de Jules II contre son prédécesseur, le Borgia ; mais la raison déterminante pour l’artiste a certainement été la dévotion exceptionnelle du martyr pour le Saint Sacrement, circonstance qui a joué un rôle si considérable dans la tragédie finale de 1498. Car il est évident que c’est surtout la notoriété d’une telle dévotion qui a décidé du choix des personnes dans la partie inférieure de la Dispute : on ne s’expliquerait pas autrement la préférence donnée ici par exemple à saint Thomas d’Aquin et saint Bonaventure sur saint Dominique et saint François d’Assise.

Pensée bien étrange pourtant que celle de faire d’un dogme transcendant le pivot d’une action animée, et de réunir tous les personnages du drame autour d’un mystère insondable ! D’autant plus étrange, en effet, que jamais peintre italien ne s’était avisé jusque-là de prendre le Saint Sacrement pour sujet d’une composition développée… Mais nous sommes en 1509, et moins de deux lustres nous séparent des thèses de Wittenberg. Avant de descendre dans sa tombe si prématurée, Raphaël entendra déjà les sourds grondemens d’une tempête déchaînée au nord contre cette basilique de Saint-Pierre dont il a ici annoncé les futures splendeurs, et contre cet ostensoir avec l’hostie auquel il a dû une de ses plus heureuses inspirations. Ce point central de la Dispute deviendra le point central de toutes les disputes du siècle, de ses controverses, de ses luttes, de ses guerres inexpiables ; et bientôt le monde sera — et demeurera, hélas ! — partagé entre deux camps, pour confesser ou répudier le mystère de la Transsubstantiation… Je ne puis me défendre de reconnaître un signe du temps dans cette fresque sainte de la Segnatura, et de voir quelque chose de providentiel dans ce fait, qu’à la veille même de la catastrophe, au seuil de la Réformation, l’art chrétien soit venu affirmer hautement le dogme menacé dans un avenir si prochain, et le glorifier par le plus grand de ses génies dans le plus magnifique de ses sanctuaires !


III

— N’était-ce point un signe du temps aussi, monseigneur, que cette École d’Athènes que nous voyons ci-contre ? Et, placée en face de la peinture sacrée et mystique de la Dispute, cette page profane et lumineuse n’annonçait-elle pas un principe tout autre et bien opposé ?… Exalter la science, la philosophie, à l’égal de la