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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 124.djvu/263

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religion et de ses divins mystères, exalter Aristote et Platon à l’égal des grands docteurs de l’Eglise : que l’idée était nouvelle et hardie ! On dirait une déclaration des droits de la raison contre l’omnipotence du dogme…

— Eh ! cher monsieur, est-ce qu’au campanile de Giotto les sept Disciplines de la Science ne figurent pas à côté des sept Sacremens et des sept Béatitudes ? Est-ce que dans la chapelle des Espagnols les grands sages de l’antiquité ne sont pas placés sur la même ligne que saint Augustin, saint Jérôme, et saint Jean Damascène ? Et pourquoi faire honneur à Raphaël d’une « hardiesse » qui n’en fut pas une et qui, dans tous les cas, n’était pas de son invention ?…


… Il y avait bien de la vivacité, de l’irritation presque, dans la riposte de l’excellent chanoine ; mais, se tournant aussitôt vers la fresque si malencontreusement par moi interprétée, il reprit sur un ton plus calme et avec une ironie indulgente :


— Ah ! si les visiteurs des Stances voulaient bien laisser au vestiaire, à côté de leurs cannes et de leurs ombrelles, certaines idées de leur siècle !… Ce siècle a tellement pris l’habitude de considérer la raison comme l’opposé de la foi, de regarder la philosophie comme l’ennemie déclarée de la religion, qu’il ne sait plus voir les phénomènes du passé que sous ce prisme décevant. On nous a déjà « construit » un Dante déchiré par le doute philosophique, un Dante même « hérétique, révolutionnaire et socialiste » ; et vous voilà en bon chemin de nous fabriquer un Raphaël franc-maçon ! Détrompez-vous, cher monsieur ; ce n’est point la Science orgueilleuse et prépotente de nos jours que le jeune Santi a entendu glorifier en ces lieux ; il y a célébré la science scolastique de son temps, la science du trivium et du quadrivium avec ses sept « arts libéraux » ou sept « disciplines » : la grammaire, la rhétorique et la dialectique ; la musique, l’arithmétique, la géométrie et l’astronomie…

C’était là une donnée bien ancienne déjà, bien connue de nos artistes, et il est intéressant d’en suivre le développement depuis le XIIIe siècle jusqu’à l’époque de Raphaël. Sur sa célèbre chaire de la cathédrale de Sienne, ainsi que sur la grande Fontaine de Pérouse, Nicola Pisano a figuré les sept disciplines du trivium et du quadrivium en allégories féminines avec des emblèmes variés. Au campanile de Giotto, du siècle suivant, on voit ces allégories remplacées par des personnages grecs et romains qui représentent les « arts libéraux » en action. Bientôt après, dans la chapelle des