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des princes régnans pour assister à son lever et venir chaque matin à l’ordre, des premiers ministres pour l’encenser et recueillir dévotement ses moindres paroles, des grands seigneurs allemands pour le servir à table. Douze jours de suite, il eut à dîner, ensemble ou séparément, l’empereur et l’impératrice d’Autriche, le roi et la reine de Saxe, les princes saxons, le prince-primat de la Confédération rhénane. On chanta un Te Deum pour remercier le ciel de sa venue ; on donna en son honneur des illuminations sur l’Elbe, un grand concert au théâtre italien, avec apothéose où la pièce principale figurait le soleil, accompagné de cette inscription : « Moins grand et moins beau que lui. » — « Il faut que ces gens-là me croient bien bête, « dit Napoléon en haussant les épaules. Au début de son séjour, il ne se montra guère en dehors du palais, travaillant beaucoup, consacrant à ses hôtes le reste de ses journées, savourant le bonheur de vivre en famille avec la maison d’Autriche. Le soir, tandis que les différentes cours se réunissaient dans les salons dorés de la Résidence, sous les constellations de lustres, tandis qu’un orchestre dirigé par le maëstro Paer jouait une musique grave, il s’emparait de son beau-père, l’emmenait au fond de la galerie principale, et là, arpentant à pas pressés la largeur de la pièce, il entraînait dans cette promenade, dominait de son autorité et de sa verve celui qu’il avait nommé jadis, dans un jour de colère, « le chétif François. » Il essaya de rallier à sa cause l’impératrice d’Autriche, se mit en frais de galanterie auprès d’elle et manqua cette conquête. Marie-Louise d’Este, épouse de François d’Autriche, était au nombre des princesses qui avaient noué contre Napoléon la coalition des femmes ; elle reçut poliment ses avances, mais ne se laissa surprendre aucune parole d’acquiescement et d’abandon : quand on lui parlait politique, elle répondait littérature. Le roi de Prusse s’étant présenté, on l’avertit officieusement de renoncer à un traitement d’égalité avec Leurs Majestés françaises et autrichiennes : une hiérarchie s’établissait entre les souverains, et Frédéric-Guillaume n’était que roi. Napoléon se fit toutefois violence pour bien recevoir ce monarque, qu’il appelait volontiers, lorsqu’il parlait de lui, « un sergent instructeur, une bête » ; il l’accueillit avec politesse ; et notre ministre des Affaires étrangères, dans une dépêche officielle, décerna un certificat de bonne tenue au jeune prince royal de Prusse, qui avait accompagné son père : « Ce prince, dit-il, qui pour la première fois est entré dans le monde, s’y conduit avec prudence et avec grâce. » Pour mieux marquer sa bienveillance aux Majestés qui avaient répondu à son appel, Napoléon combla leurs ministres