Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 124.djvu/736

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que ma situation ne doit plus maintenant exciter la jalousie de personne. On a dû, ajouta-t-elle, vous donner des préjugés contre moi, et la trace doit s’en trouver dans vos instructions. Ouvrez les yeux et regardez, et si quelque chose dans notre conduite vous semble équivoque, venez nous en demander l’éclaircissement. » — Puis elle lui annonça qu’elle avait choisi pour l’ambassade de Paris le comte de Kaunitz, son meilleur serviteur, celui qui avait toute sa confiance, dont elle aurait le plus de peine à se passer ; mais elle espérait qu’on se souviendrait de l’inclination pour la France qu’il avait témoignée à Aix-la-Chapelle. Enfin, les jours suivans, elle fit indirectement savoir qu’elle aurait demandé au roi de France d’être parrain de l’enfant dont elle attendait la naissance, n’était qu’elle n’avait jamais pu faire d’offre pareille au roi d’Angleterre.

Blondel, simple commis, ne s’attendant pas à être admis si tôt dans une confiance venue de si haut, en fut complètement ébloui. « Le système politique que j’envisage de cette cour, n’hésita-t-il pas à écrire, me paraît uniquement viser à se concilier l’amitié, la confiance et l’appui du roi, pour tous les projets qu’on voudrait faire à l’avenir : soit pour reconquérir la Silésie, soit pour se dédommager un jour sur le roi de Sardaigne… On laisse assez apercevoir qu’on sent ici qu’on ne peut rien effectuer d’avantageux sans le concours de Sa Majesté et qu’on ne peut faire fond sur ses propres alliés que pour les cas extrêmes, et pour ne pas être écrasé ; maison ne les regarde pas, par la forme de leurs gouvernemens, par leur force et leur position, comme parties capables d’entrer dans un pacte offensif. » — Ainsi mis pleinement sous le charme, son attitude devint bientôt si déférente et les caresses dont il était l’objet si remarquées, qu’averti par son ministre à Vienne, Frédéric écrivait à Paris : « Est-ce donc un Autrichien dont vous avez fait choix pour l’envoyer auprès de l’impératrice[1] ?

Le ministère français fut lui-même assez disposé à croire que Blondel n’avait pas su garder son sang-froid devant les bonnes grâces royales, et qu’un ambassadeur, plus accoutumé à traiter avec des grandeurs, serait moins accessible à de telles séductions. Aussi fit-il choix d’un seigneur de haute qualité, le marquis d’Hautefort, dont le ministre de Prusse, Chambrier, dépeignait ainsi le caractère : « Le marquis est vain de sa noblesse, il est à espérer qu’il ne se laissera pas subjuguer par la cour de Vienne, à l’exemple de Blondel, parce que les caresses et les distinctions

  1. Blondel à Puisieulx, 5 juillet 1749, 21 janvier, 18 février 1750 (Correspondance d’Autriche). — Frédéric à Chambrier, 1er septembre 1749 (Correspondance interceptée : ministère des Affaires étrangères).