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s’asseyaient sur les marches et passaient leur temps à jouer. On a retrouvé, gravée sur une des grandes dalles du pavé, une de ces tables de jeu (tabulae lusoriae) qui vraisemblablement remplissaient l’office de nos damiers ; elle porte ces mots, qui résument à merveille les sentimens de ceux qui les ont tracés : « Chasser, se baigner, jouer, rire, c’est vivre[1]. »

Mais le Forum servait aussi à des usages plus sérieux ; c’était pour la petite cité le centre de la vie publique ; ce qui s’y passait d’ordinaire, quand il fallait élire les magistrats, les installer, les remplacer ou traiter les affaires de la ville, il nous est aisé de l’imaginer : nous n’avons qu’à nous souvenir de ce qu’on faisait ailleurs. Qui connaît une ville romaine les connaît toutes, au moins pour l’essentiel, car les institutions municipales ne différaient guère ; et ce n’est pas une de nos moindres surprises, quand nous étudions l’Empire romain, de voir à quel point, d’un bout du monde à l’autre, elles se ressemblent. Comment des peuples de mœurs et d’origines si diverses se sont-ils plies si complètement aux mêmes lois et aux mêmes usages, et sont-ils arrivés à vivre à peu près tous de la même façon ? On en serait moins surpris s’il était prouvé que Rome leur a fait violence, qu’elle les a forcés de renoncer à leurs usages et de s’accommoder de lois nouvelles : victorieuse comme elle l’était, on comprend qu’elle n’eût pas trouvé de résistance si elle avait donné des ordres formels. Mais ce n’était pas sa politique ordinaire d’imposer aux nations vaincues une certaine faconde s’administrer : elle leur laissait volontiers l’ancienne quand elle n’y voyait pas de péril. Il est donc probable qu’en Afrique, comme ailleurs, elle n’a pas mieux demandé que de respecter les coutumes de ses nouveaux sujets. Les villes africaines, sous la domination des Carthaginois, étaient gouvernées par des suffètes : Rome les leur laissa, et quelques-unes les ont gardés jusqu’après l’époque des Antonins ; elles y renoncèrent pour recevoir le titre de municipes ou de colonies, et à la manière dont elles remercient les princes qui le leur ont donné, on voit bien qu’elles ont renoncé sans regret à leurs anciens magistrats. Elles paraissent toutes fort heureuses de jouir d’une administration romaine : Timgad se donne fièrement le nom de Respublica Thamugadensium, et ceux qui parlent du conseil des décurions n’hésitent pas à

  1. VENARE
    LAVARI
    LVDERE
    RIDERE
    OCC EST
    VIVERE
    On remarquera Occ pour Hoc ; le latin d’Afrique n’est pas toujours correct. Il est vraisemblable que, dans cette tabula lusoria, chaque lettre formait une sorte de case où les joueurs plaçaient successivement des cailloux, qui tenaient lieu de déos, en les faisant voyager d’après des règles que nous ne savons pas. Sur d’autres dalles du Forum on trouve des séries de petits trous qui semblent disposés pour y recevoir des billes. Tout parait donc prouver qu’on jouait beaucoup sur le Forum de Timgad.