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l’appeler splendidissimus ordo, comme s’il s’agissait du Sénat de Rome.

Parmi les usages en vigueur dans les municipes romains, il y en a un qui était pratiqué partout, mais que les inscriptions de l’Afrique font peut-être mieux connaître que celles des autres pays. Quoiqu’on en ait souvent parlé, il faut le rappeler ici, car il nous aide à comprendre pourquoi nous trouvons, à Timgad et ailleurs, les ruines de tant de beaux monumens.

On sait qu’alors non seulement les villes ne payaient pas leurs magistrats, mais que c’étaient les magistrats qui payaient leurs administrés. À chaque élection, pour reconnaître l’honneur qu’on leur faisait, il leur fallait donner une somme d’argent qu’on appelait honoraria summa. Il y avait donc cette différence entre les cités antiques et les nôtres que ce qui nous ruine les enrichissait : autant nous avons intérêt à diminuer le nombre des fonctionnaires, autant il leur était utile de l’augmenter ; on pense bien qu’elles ne manquaient pas de le faire. La liste des décurions dont on a découvert des fragmens dans la curie de Timgad devait être fort longue : un seul de ces fragmens contient soixante-dix noms ; il est probable qu’il y en avait au moins autant sur les autres. C’est plutôt le parlement d’un royaume qu’un conseil de petite ville. Les municipes, on le comprend, étaient à l’affût de toutes les occasions qui se présentaient d’augmenter ainsi leurs ressources. Dès qu’un citoyen s’était enrichi, on s’empressait de lui ouvrir les rangs de la curie : c’était un contribuable de plus, et l’on pouvait espérer que, s’il arrivait aux premières dignités, il les paierait plus cher que les autres, parce qu’il en serait plus flatté. Quelquefois on allait chercher jusque dans la ville voisine quelque citoyen opulent, qui était très fier de se voir apprécié hors de chez lui ; il devenait donc magistrat de deux pays à la fois. De cette double fonction, il y en avait une dont il ne pouvait guère s’occuper ; mais il avait payé, on le tenait quitte du reste. Il arrivait aussi qu’on s’adressât à quelque affranchi qui avait gagné dans le commerce une fortune assez ronde : on ne pouvait pas sans doute le nommer tout à fait décurion, la loi ne permettait d’accorder cet honneur qu’aux gens de naissance libre ; mais on tournait la difficulté : au lieu de le revêtir de la dignité elle-même, on lui en conférait les ornemens (ornamenta decurionis) : il devenait, pour ainsi dire, décurion honoraire, et donnait de l’argent comme s’il eût été décurion véritable. Il faut vraiment admirer l’adresse avec laquelle toutes ces villes ont su se faire de la vanité de leurs citoyens un revenu qui, pendant des siècles, a fort accommodé leurs finances.

La somme honoraire, pour les diverses dignités, n’était pas