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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 125.djvu/627

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que les deux autres. Le manifeste de Sandhurst laissait la porte ouverte à toutes les réformes et ne la fermait à aucune espérance. Mais M. Canovas, avec cette netteté qui est comme le cachet de son esprit, distinguait entre elles et les échelonnait par séries : « La monarchie héréditaire et constitutionnelle, disait-il sous la signature de don Alphonse XII, possède dans ses principes la souplesse nécessaire et autant de jugement qu’il en faut, pour que tous les problèmes qu’entraîne son rétablissement soient résolus conformément aux vœux et aux convenances de la nation… Une fois l’heure arrivée, il sera facile pour un prince loyal et un peuple libre de s’entendre sur toutes les questions à résoudre. »

En attendant que l’heure fût arrivée, ce qu’il importait de rétablir afin que la restauration en coïncidât avec celle de la monarchie elle-même et que l’Espagne sût bien à qui elle était redevable du bienfait, c’était, comme on l’a déjà dit, la paix civile, l’ordre public et, pour que la paix civile durât, pour que l’ordre public ne fût plus troublé, il importait d’infuser à l’Espagne ce sang nourricier des nations libres, l’obéissance continuelle et comme naturelle à la loi. Et justement, l’heure serait arrivée, quand toute l’Espagne, toutes les provinces et tous les partis en Espagne, reconnaîtraient et respecteraient toute la loi.

Il eût été trop tôt de parler des libertés nouvelles, en 1874, alors que le pays entier et chaque fraction du pays avaient été comme projetés hors de l’ordre légal. La République avait à ce point dégoûté l’Espagne de n’être point gouvernée, que le meilleur moyen de se bien faire accueillir d’elle était de lui faire sentir un gouvernement. M. Canovas del Castillo était tout désigné pour cette première partie de la tâche qu’avait à accomplir la Restauration. C’était lui le vrai roi d’Espagne, et la monarchie allait sortir, tout armée, de son cerveau. Sur ce que devait être cette monarchie, l’historien et le philosophe avaient aussi renseigné l’homme d’Etat. Après s’être montrée ordonnée et légale, et dès que ce serait possible, elle devait se montrer libérale.

Libérale dans sa constitution et libérale par ses institutions. Elle devait être représentative, parce que, de l’être, c’était encore se rattacher à la tradition, être historique et nationale : « Les princes espagnols, là-bas, aux temps anciens de la monarchie, ne décidaient pas sans les Cortès les affaires difficiles[1]. » Mais comme on n’était plus aux anciens temps et comme la monarchie, autant que nationale, devait être moderne, il ne s’agissait plus d’une représentation du pays par les Cortès anciennes : il fallait introduire et acclimater en Espagne le régime parlementaire moderne.

  1. Manifeste de Sandhurst.