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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 128.djvu/126

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plus riche et mieux conservé. Tout un côté possède encore son antique plafond de bois à caissons ; les murs sont couverts de bas-reliefs d’une fantaisie délicieuse, de fleurs, de feuilles, d’oiseaux, et aussi de chimères poursuivant des amours, comme si ça n’était pas le contraire dans la vie. La lumière entre par les larges baies. Du fond de la cour intérieure, des arbres poussent librement et montent jusqu’à moi. Leurs pointes vertes tremblent sur les vitres. Une vieille poussière savante danse dans les rayons de soleil. Et la bibliothèque est une fort belle salle bien cirée, toute pleine de livres peu lus. Elle garde, en un coin, le petit coffre, aux ferrures puissantes, qui renfermait le trésor de l’ancienne Université. On l’a ouvert pour moi : il était vide.

Hélas ! de son ancienne opulence, la célèbre Université n’a pas gardé grand’chose. Les révolutions, dont c’est le premier besoin de toucher aux propriétés collectives, parce que l’individu défend mal les droits qu’il partage, ont confisqué les biens des grandes et des petites écoles de Salamanque. Il ne reste rien des fondations anciennes, rien des collèges qui étaient une invitation permanente aux étudians étrangers. J’ai bien vu douze beaux jeunes gens blonds, en jaquettes, qui étaient pensionnaires du collège des Irlandais, mais ils étudiaient la théologie, et se rattachaient au séminaire diocésain, non à l’Université. Même, des quatre facultés que celle-ci possède encore, faculté de droit, de lettres, des sciences et de médecine, les deux dernières ont été abandonnées par le gouvernement. La province n’a pu les conserver qu’en leur allouant, chaque année, un crédit de 30 000 francs.

Les élèves ne sont pas nombreux. Je crois qu’en attribuant de 450 à 500 étudians présens à l’Université de Salamanque, je ne lui fais aucun tort[1]. Et quelles études sont les leurs ! Il m’est impossible de ne pas le dire en passant : le système adopté dans les écoles d’enseignement supérieur, en Espagne, n’est pas digne d’une grande nation ; il est une cause de faiblesse, et, tant qu’il subsistera, toutes les brillantes et les fortes qualités intellectuelles de cette race ne donneront pas tout ce qu’elles peuvent donner. Ce n’est pas qu’il manque de décrets et de circulaires ministérielles sur la matière. Mais tous les changemens paraissent se réduire à l’élimination progressive de l’élément religieux dans l’éducation, phénomène bien étrange, quand on songe que toute la grandeur historique de l’Espagne a procédé de la grandeur de sa foi ! Pour tout le reste, il y a eu immobilité. Le fond de la méthode est demeuré le même. Et il consiste en ceci. Le professeur compose un manuel, ou, plus rarement, adopte le manuel d’un

  1. Les statistiques officielles portent ce nombre à plus de six cents, mais je ne crois pas que ce chiffre puisse s’appliquer aux étudians présens dans la ville.