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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 128.djvu/873

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Philologue et éditeur de textes, il aura la malchance de préférer souvent les leçons qui donnent un sens auquel répugnent la suite des idées et le génie propre de l’auteur dont ils s’occupent. L’humaniste, s’il n’a pas appris à fond les langues anciennes, cédera bien vite à la tentation de ne faire, dans son enseignement, qu’une toute petite place à l’explication des grands écrivains d’Athènes et de Rome. L’acception propre des mots et les nuances du sentiment et de la pensée lui échapperont, ou du moins il n’en aura pas un sentiment assez vif pour prendre plaisir à cette étude et pour y intéresser l’élève par la fine justesse de l’interprétation. Critique, il lui arrivera parfois de s’extasier sur de prétendues beautés qu’il aura lui-même prêtées à son auteur, au prix d’un contre-sens ; cela s’est vu. Plus souvent, pour s’épargner ces méprises, il évitera de se lancer sur ce terrain et il dissimulera son insuffisance sous un air de modernisme qui est bien porté. Même dans sa chaire, il ne paraîtra curieux que de la littérature contemporaine. Il aimera mieux parler à ses rhétoriciens du Théâtre-Libre que du théâtre grec, ou même que de Corneille, de Racine et de Molière. Dans ces conditions, il n’aura pas grand’peine à se donner pour que se dressent et restent ouvertes les oreilles de ses jeunes auditeurs. Reste à savoir s’il aura bien rempli son office.

Il n’y a pas moins de profit pour le futur historien à débuter par ces mêmes disciplines. Si c’est vers l’étude de l’histoire ancienne que le tourne son penchant, il devra s’être mis en mesure de lire dans leur texte même les écrivains auxquels il demandera la matière de ses récits. Forcé d’avoir recours à des traductions, que de bévues il risquerait de commettre ! D’ailleurs, dans ce domaine, point de problème historique auquel on puisse toucher aujourd’hui sans consulter les inscriptions ; or, à moins de bien savoir le grec et le latin, comment utiliser les monumens épigraphiques ? S’il n’avait été armé de cet outil, Fustel, malgré la rare puissance de son esprit, n’aurait jamais écrit la Cité antique. Dût-il ne s’occuper que du monde moderne, l’historien se trouvera encore très bien d’avoir eu quelque commerce avec les Hérodote et les Thucydide, les Tite-Live et les Tacite. Sans doute il ne cherchera pas à copier leurs procédés. On exige aujourd’hui de l’historien ce qu’on ne lui demandait pas dans l’antiquité ; on veut qu’il cite ses pièces, ou du moins qu’il y renvoie ; mais ce dont il a toujours à chercher le modèle chez les anciens, c’est la belle ordonnance et la clarté du récit, c’est la couleur et le pittoresque du style, c’est l’art de résumer une situation en un mot incisif et profond, de dessiner un portrait