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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 128.djvu/874

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dont la physionomie soit assez expressive pour rester gravée dans la mémoire. A ne prendre que des exemples domestiques, Augustin Thierry et M. Lavisse nous ont montré ce que l’histoire moderne gagnait à être écrite par des hommes élevés dans ces disciplines dont médisent volontiers, à l’heure présente, ceux mêmes qu’elles ont concouru à former. La différence, c’est qu’Augustin Thierry aimait le vers latin[1], tandis que M. Lavisse l’a toujours poursuivi de sa haine, même depuis qu’il est mort. Est-ce bien généreux ? Peut-être a-t-il dû plus qu’il ne croit au vers et aussi au discours latin, qui n’est pas encore enterré, mais dont l’existence est bien menacée. D’autres écrivains, qui n’étaient pas sans dons naturels, n’ont-ils pas beaucoup perdu à ne pas avoir reçu, comme on disait autrefois, cette nourriture ? Pline le Jeune a dit, je ne l’ignore pas, que « l’histoire, écrite n’importe comment, fait toujours plaisir. » Historia, quoquo modo scripta, délectat, Je ne suis pas de son avis. Il est des gens qui, par leur fatras, par l’abus des documens non digérés et mis en œuvre, mais versés à plein sac, me dégoûteraient presque de l’histoire, si tant est que ce soit là de l’histoire !

Quant aux philosophes, eux aussi, s’ils veulent suivre, depuis son premier éveil en Grèce, l’évolution de la pensée, peuvent-ils se dispenser de lire, dans le grec même, Aristote et Platon ? Pour peu que l’on ne soit pas de ceux auxquels suffit l’a peu près, on sait ce que valent, en ce genre, les meilleures versions. D’ailleurs le système d’éducation auquel nous sommes filialement attachés n’a pas pour seule base l’étude des langues mortes. Une de ses parties essentielles, ce qui en fait le fond, c’est l’obligation qu’il impose d’apprendre à grouper et à exposer des idées générales ; il prétend y dresser le jeune homme par une série d’exercices savamment gradués, depuis les narrations du collège jusqu’aux travaux de la seconde année d’Ecole. Ce qu’on lui enseigne ainsi, c’est à s’approprier ces idées, celles dont a toujours vécu et dont vivra toujours l’humanité, à les faire siennes par l’intérêt qu’il y prendra, par ce qu’il y mettra des qualités de son esprit et de ses sentimens personnels. Si, plus tard, instruit par l’expérience de la vie et par l’étude, il ajoute quelque chose à ce trésor commun, s’il y verse quelques idées nouvelles, nées de ses réflexions et de ses recherches, son nom ne périra pas : mais c’est là un honneur auquel ne sauraient aspirer que de rares élus. En attendant, les intelligences qui auront eu le bénéfice de cet assouplissement continu et méthodique en garderont la faculté

  1. Page 5 de la notice que M. Vacherot a mise en tête du tome Ier des Fragmens littéraires de Dubois, 2 vol. in-8o ; Thorin, 1879.