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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 133.djvu/336

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de Paris, je ressentis l’impétuosité de cette poussée mieux que personne. Ayant refusé non seulement de « transporter » mais même de prononcer l’état de siège, je fus publiquement accusé d’avoir été le complice de l’insurrection que je venais de réprimer vigoureusement.

Supposez le prince un simple ambitieux à courte vue. Il se serait jeté dans le courant qui ne cessait de grossir ; il se serait présenté au pays les enseignes de la réaction à la main. Si ce n’est au premier moment, cela l’eût irrévocablement perdu. Sa seule force était dans le peuple. Pour les classes bourgeoises et aristocratiques, il ne devait jamais être qu’un relais d’étape, non une solution. Or la dureté, fût-elle justifiée, avec laquelle la république des bourgeois frappait sur les insurgés de Juin, révoltait, par l’attendrissement, même les plébéiens qui n’avaient point participé à l’émeute et les remplissait du désir de la vengeance. Les Médicis durent leur fortune à ce que le premier d’entre eux, Silvestre, se montra compatissant envers les Ciompi, les anarchistes du temps, vaincus et pourchasses. La vengeance du peuple, quand il est mécontent d’une république, est toujours d’appeler César.

César sortit de l’ombre et se montra. Sa réserve avait accru l’impatience de ses amis : « On veut vous voir, lui mandait Persigny, on vous demande, on vous appelle, nous vous attendons. » Il posa nettement sa candidature aux élections complémentaires du 17 septembre 1848. Nommé à Paris et dans quatre départemens, il arriva aussitôt et descendit sur la place de la colonne Vendôme, à l’hôtel du Rhin (24 septembre).

Quelques heures avant d’aller prendre possession de son siège, avant d’avoir vu son ancien ami et défenseur Berryer, ou qui que ce soit, sauf le montagnard Joly, il reçut le socialiste Proudhon. Selon son habitude, dans cette entrevue, il écouta plus qu’il ne parla, se montra bienveillant, protesta qu’il n’était pas dupe des accusations dirigées contre les socialistes, et blâma sans détour la politique de Cavaignac au point que le socialiste put, quoique très à tort, se croire presque d’accord avec lui. L’entretien terminé, il se rendit à l’Assemblée en compagnie de Vieillard et de Boulay de la Meurthe. Il s’assit sur les bancs de la gauche, marquant ainsi de quel côté étaient ses préférences. Son élection ne fut pas contestée. Alors il monta à la tribune, et d’une voix ferme, nuancée d’un accent étranger, il dit :

« Après trente-quatre années de proscription, je retrouve enfin ma patrie et mes droits de citoyen. — La République m’a fait ce bonheur : que la République reçoive ici mon serment de reconnaissance et de dévouement, et que les généreux patriotes qui m’ont