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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 133.djvu/337

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porté dans cette enceinte soient certains que je m’efforcerai de justifier leurs suffrages en travaillant avec vous au maintien de la tranquillité, ce premier besoin du pays, et au développement des institutions démocratiques que le peuple a le droit de réclamer. — Longtemps je n’ai pu consacrer à la France que les méditations de l’exil et de la captivité ; aujourd’hui la carrière où vous marchez m’est ouverte. Recevez-moi dans vos rangs, mes chers collègues, avec le même sentiment d’affectueuse confiance que j’y apporte. Ma conduite, toujours inspirée par le devoir, toujours animée par le respect de la loi, prouvera, à l’encontre des passions qui ont essayé de me noircir pour me proscrire encore, que nul ici plus que moi n’est résolu à se dévouer à la défense de l’ordre et à l’affermissement de la République. »

En présence de la réaction maîtresse partout, des transportations sans jugement, de l’état de siège, des suspensions de journaux, de la clameur de haro élevée contre le socialisme, cet appel à une affectueuse confiance, cette affirmation que le peuple avait le droit de réclamer des institutions démocratiques, cette promesse de travailler à l’affermissement de la république, c’était la confirmation du langage intime tenu à Proudhon, la provocation à une entente avec la partie vaincue et persécutée de l’Assemblée. Le prince, loin de se rallier à l’union conservatrice, s’en distinguait. Il affirmait l’ordre, mais un certain ordre, l’ordre dans la révolution et pour elle, non en dehors d’elle et contre elle ; l’ordre au profit du régime nouveau, non pour le ramener, autant que possible, au régime ancien. Si les républicains et les socialistes l’avaient compris, et si, par suite, les deux forces de Napoléon et de la république s’étaient fraternellement unies en s’accordant une part équitable, que de complications et de violences nous eussent été épargnées ! Mais étroits, sectaires, asservis à des formules vides, quoiqu’ils allassent déjà à la dérive, ils se drapèrent dans leur morgue, et leurs suspicions repoussèrent l’allié puissant qui les eût préservés du naufrage prochain. Au sortir de son entretien, Proudhon avait écrit sur son carnet : « Cet homme paraît bien intentionné. Tête et cœur chevaleresques ; plus plein de la gloire de son oncle que d’une forte ambition. Au demeurant génie médiocre, je doute que, vu de près et bien connu, il fasse grande fortune. Me méfier du reste… » La méfiance ne tarda pas à se convertir en une hostilité violente et sans loyauté. A la descente de la tribune, aucun des républicains dont le prince avait réclamé l’affectueuse confiance ne vint à lui ; quand il s’assit de nouveau sur leurs bancs, il ne recueillit que sourires malveillans et inquisition narquoise. Cela ne le découragea ni ne l’irrita. Il se montra de temps à autre à l’Assemblée, même dans un de ses comités,