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de Savoie pour penser qu’ici on considère au fond la prompte conclusion de la paix d’Italie comme contraire aux intérêts de cette couronne ; en effet les Français qui, en ce moment, ont pris du service dans les armées du duc de Savoie sont, pour la plupart, des partisans des princes. Si la paix se fait, ils viendront se mettre au service de ceux-ci, et cela au grand préjudice des intérêts du roi. On peut donc douter que les ministres français, s’ils ont une fois l’affaire de la paix d’Italie dans les mains, mettent un grand zèle à la conclure, contrairement à leurs intérêts. Aussi, seroit-il de la prudence de Vos Excellences de peser leurs résolutions et d’apporter à cette affaire toute la maturité qu’elle demande. »

Le sénat de Venise n’avait pas besoin d’être poussé par ses agens pour prendre une résolution conforme à leur désir. L’ambassadeur du roi, M. de Léon, lui avait communiqué la proposition, peut-être avec quelque mollesse, car il était loin d’être prévenu en faveur de son chef. Il n’avait obtenu que des paroles évasives, transmises à Paris pour ce qu’elles valaient.

Dès les premiers jours de février, Luçon apprenait, de toutes parts, qu’il était joué. Le duc de Savoie avait fait la moue quand on lui avait parlé d’envoyer un ambassadeur spécial à Paris ; l’Espagne déclinait nettement la proposition ; en Autriche, notre ambassadeur, Baugy, n’osait même pas ouvrir la bouche, sentant d’avance quel accueil lui serait réservé : « Vous aurez vu, par mes précédentes du 18 de ce mois, les raisons qui m’ont mû à ne point passer avec l’Empereur l’office qui m’a été mandé pour lui faire trouver bon que le roi tirât auprès de lui le traité d’accommodement des troubles d’Italie, duquel les Espagnols se sont emparés sur la requête qu’ils disent leur en avoir été faite par les Vénitiens. Quand on m’en parle, je réponds qu’il n’importe à Sa Majesté en quel lieu il soit, pourvu qu’il se termine par une bonne paix. » On le voit, ce sont les Vénitiens que l’on accuse hautement. De partout le même renseignement arrive au ministre. Il s’en plaint en termes amers à l’ambassadeur Léon, qu’il soupçonne de s’être laissé jouer et qui, probablement, rit dans sa barbe de la déconvenue de son chef. Parlant au nom du roi, Luçon écrit : « Je ne puis que je ne m’étonne grandement de ce que leurs actes (il parle du sénat de Venise) du tout contraires à leurs paroles, ne soient venus à votre connaissance ; ou que l’ayant su, vous ne m’ayez donné avis de ce que vous auriez vu en cela se passer à mon préjudice… Le sieur Baugy a su et m’a averti le 14 janvier qu’à leur prière le Roi Catholique a écrit à l’Empereur pour le prier d’envoyer vers lui des ambassadeurs afin de traiter du différend que mon cousin l’archiduc de Gratz a avec eux. Par là, vous pouvez juger combien j’ai juste