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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 133.djvu/538

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sujet de me plaindre de leur procédé, voyant qu’en même temps que je travaillais avec plus d’affection à cet accommodement, ils se sont pourvus à même fin par devers le Roi Catholique pour lui attribuer l’honneur d’être venu à bout d’une chose qui semblait particulièrement m’être réservée. »

Luçon ne peut se contenir plus longtemps à l’égard des ambassadeurs vénitiens ; il va les trouver chez eux, tenant à la main la lettre par laquelle Béthune lui apprend l’échec de la négociation. Il fait d’abord, d’un ton assez calme, un exposé complet de l’affaire, mais il s’anime en parlant, et enfin sa colère éclate : Nous sommes trop intimes, nous, avec le roi d’Espagne pour nous plaindre de voir la paix se traiter à Madrid. Mais vous, c’est donc, désormais, au roi d’Espagne que vous vous adresserez quand vous aurez des difficultés en Italie ? Pouvoit-on s’attendre à une pareille conduite de la part de la République ? N ’est-ce pas elle qui avoit eu recours au roi de France ? Est-ce ainsi qu’elle reconnaît le zèle qu’on a déployé à Paris pour arranger cette affaire ? C’est un manque d’égard inouï pour le roi de France, et il s’en souviendra. Pour le moment, il est faible, c’est vrai. Mais il n’est pas si bas que son royaume ne reprenne : en peu de temps son ancienne vigueur et pour qu’il impose autour de lui le respect auquel il a droit… » C’est au tour des ambassadeurs de s’excuser et de plaider les circonstances atténuantes. Mais ils sont vengés.

Ils prennent pour confident de leur joie le nonce Bentivoglio, qui ne paraît pas trop fâché, lui-même, du bon tour joué à son jeune partenaire. Il écrit à Rome : « J’ai vu les ambassadeurs vénitiens qui m’ont dit que Luçon leur a fait, au nom de la reine, une grosse querelle au sujet de la négociation que la République a transportée à Madrid. Luçon, dit-il, espère encore que, si on arrange à Madrid l’affaire de l’archiduc Ferdinand avec Venise, du moins, on laissera l’arrangement des affaires du Piémont se faire à Paris ; mais, ajoute le nonce, les ambassadeurs n’en croient rien, et ils disent que c’est une dernière feinte des Français pour couvrir leur honte de se voir entièrement exclus des affaires d’Italie dont ils se prétendoient les arbitres. »

L’échec est complet ; et si Luçon ne lit pas ces lettres, il devine autour de lui les sourires muets des diplomates qui les ont écrites. Dans sa colère, il ne sait à qui se prendre. Il rappelle l’ambassadeur du roi à Venise, Léon ; il rappelle l’ambassadeur à Rome, Tresnel. Il répand sa mauvaise humeur en lettres dont le ton va toujours s’exaspérant : « Bien que je n’aie point de paroles qui puissent exagérer l’indignité du procédé des Vénitiens, je trouve bon, néanmoins, l’avis que vous me donnez de