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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 133.djvu/544

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vendredi que Vitry est averti ; l’exécution est fixée au sur lendemain, dimanche. Durant ces deux jours, on ne dormit guère dans l’entourage intime du roi. Tout le monde, et Louis XIII le premier, vivait dans la crainte d’une indiscrétion qui renverserait les rôles, et mettrait en péril les conjurés. On était entouré d’espions. Les moindres mouvemens de la partie adverse paraissaient suspects. On eut plusieurs fausses alertes. Le dimanche, le roi, qui fut, dans tout cela, admirable de secret et de dissimulation, alla à la messe, vit sa mère, et rentra chez lui, pour attendre. Mais le coup manqua par un défaut de coïncidence dans les heures et les rencontres prévues.

Le lundi 24, le roi se leva de grand matin et fit dire qu’il allait à la chasse ; mais sous un prétexte ou sous un autre, il tarda jusqu’à dix heures. Luynes, d’Ornano, Bautru, étaient auprès de lui. On causait à voix basse. Les chevaux étaient tout sellés, hors du Louvre, en cas d’échec. Vitry avait apposé une vingtaine d’hommes résolus aux divers endroits de la cour intérieure. Les groupes devisaient entre eux ; mais les principaux étaient aux aguets. Vitry était dans la grande salle des Suisses, assis sur un coffret, son manteau sur l’épaule, les jambes ballantes, un bâton à la main. Sur les dix heures, on annonça que le maréchal sortait de son logis, situé, comme on sait, sur le terre-plein du Louvre, et s’avançait vers la porte située en face Saint-Germain-l’Auxerrois, accompagné, comme d’ordinaire, d’une troupe nombreuse de solliciteurs et de courtisans. Comme le maréchal franchissait le pont dormant et allait mettre le pied dans la cour, Vitry se dirigea rapidement vers lui. Mais arrêté par un importun, il le laissa passer, ne le vit plus et dut demander : « Où est le maréchal ? » On le lui montra qui lisait une lettre. Il s’avança parmi la presse des gentilshommes, lui mit la main sur le bras droit, disant : « Le roi m’a commandé de me saisir de votre personne. » Le maréchal se retourne, dit : A mè ! et porte la main à la garde de son épée. Vitry répond : Oui, à vous, le saisit plus fortement et fait signe à ceux de sa suite qui, sortant le pistolet de dessous le manteau, tirent au visage. Trois halles fracassent la gorge, la mâchoire, le front ; d’autres hommes frappent à coups d’épée. Le maréchal tombe sur les genoux ; il est mort. Vitry l’étend à terre d’un coup de pied et crie : Vive le roi ! Ceux qui entouraient le maréchal ont fait à peine mine de résister. Un mot a suffi pour que tout le monde s’incline : « C’est l’ordre du roi. »

Le colosse mort, on s’aperçut combien il était peu de chose. Ce fut une ruine immédiate, absolue, complète, une poussière. Catherine, la femme de chambre de la reine mère, entendant les coups de pistolet, s’était mise à la fenêtre de la chambre de la