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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 133.djvu/562

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du renouveau, se transformer en cônes de satin aurore, en petites tentes que les fées apparemment dressent pour leur usage parmi les lis », apprendre ce que peuvent être ces arbustes aux noms entendus pour la première fois, le dog-wood, le red-bud, le buckeye, le sassafras, faire connaissance enfin avec cette nature étrange où rien, pas un oiseau, pas un brin d’herbe, ne ressemble a la notre. Grace au pinceau de ce maître peintre, Octave Thanet, j’avais déjà entrevu tout cela dans Knítters in the sun, dans Expiation, le seul roman de longue haleine qu’elle ait produit, un roman dramatique où sont racontées les sanglantes prouesses et la destruction finale des Graybacks, des guérillas, ce fléau de l’Arkansas, au lendemain de la guerre.

Je m’embarquai donc sur un des superbes vapeurs qui remontent le Mississipi et, après quatre jours d’un voyage que j’ai raconté ailleurs, j’atteignis Memphis, où m’attendaient la robe verte et la rose jaune portées l’une et l’autre par une jeune femme blonde qu’accompagnait une autre jeune femme brune ; c’étaient les deux dames de Clover Bend escortées de leur associé le colonel Tucker : F. W. Tucker and Co. Et je ne crois pas que des gens qui se voient pour la première fois aient jamais aussi vivement ressenti l’impression d’être de vieux amis.

Nous nous attardâmes fort peu à Memphis, les routes que nous avions à parcourir en voiture n’étant pas de celles où l’on aime à s’engager la nuit. Je me rappelle que ma première surprise, plus tard en retrouvant la France, fut la beauté des routes et le manque d’énergie qu’exprimaient les visages. Sans doute je me reportais en faisant cette réflexion aux chemins submergés de l’Arkansas et à la physionomie résolue du colonel Tucker dont l’établissement à Clover Bend remonte aux temps héroïques pour ainsi dire.

De Memphis à Portia cependant nous voyageâmes par le chemin de fer qui aboutit à Kansas City. J’avais pris en naviguant sur le Mississipi, l’habitude des paysages inondés qui feraient croire à un récent déluge, si l’on ne savait que ces eaux printanières laissent chaque année en se retirant les riches terrains d’alluvion plus fertiles que jamais. Sur tout le parcours du train ce fut la même tristesse indicible : des bois de cyprès, les hauts cyprès si différens des nôtres et qui, l’hiver, perdent leurs feuilles, surgissent de l’eau où baignent leurs racines ; de misérables cabanes hissées sur des espèces d’échasses, des planches jetées partout en guise de ponts pour faciliter les communications qui doivent être difficiles. Tout cela sèche en été, les rivières et les bayous se dégagent de cette nappe d’eau qui les relie et les confond