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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 133.djvu/790

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L’admiration, à côté des grandes émotions propres à la tragédie, n’était guère produite que par une certaine idée de noblesse inhérente à la conception de personnages choisis dans le monde héroïque. Mais voici qu’elle prend la première place et, par moment, concentre sur elle-même l’intérêt. Rappelons encore l’héroïsme d’Iphigénie. Ce rôle de l’admiration dans le théâtre d’Euripide serait intéressant à étudier ; mais, ne pouvant ici qu’effleurer les sujets et m’attachant surtout à montrer le mélange d’idées heureuses et de faiblesses qui existe à un degré remarquable chez ce grand poète, je ne veux citer qu’un exemple de ces inventions dramatiques par lesquelles il cherche à surprendre l’admiration : la mort d’Evadné dans les Suppliantes. C’est un curieux et touchant épisode de la scène finale, où les lamentations des mères ariennes accompagnent les funérailles de leurs sept fils. On ne voit que le bûcher de Capanée ; l’impie, foudroyé par Zeus, a dû être séparé des autres chefs. Tout près se dresse un rocher, que l’on chercherait vainement dans le voisinage de Thèbes. Si le poète l’a mis là, c’est qu’il veut faire apparaître au sommet Evadné, la femme de Capanée, qui, ne pouvant survivre à son époux, se précipitera dans les flammes du bûcher. Le chœur l’aperçoit tout à coup, et il l’entend chanter deux couplets lyriques ; son vieux père, Iphis, qui la cherche inquiet, arrive, et elle engage avec lui un assez long dialogue où elle l’informe de son dessein. Enfin, malgré les prières du vieillard, elle se lance dans l’espace. Il est certain que cet acte de dévouement conjugal pourrait s’accomplir plus simplement. Euripide a recherché un effet théâtral, qui, après tout, à l’avantage de rompre la monotonie d’une pièce assez languissante.

Ce n’est pas l’admiration, c’est simplement la surprise, unie aussi à un effet de spectacle, qu’il a voulu produire dans d’autres scènes, par exemple dans celle des Troyennes où il fait paraître Cassandre et qui relève par un contraste hardi la longue lamentation d’Hécube sur sa patrie, sur les siens et sur elle-même. L’intérieur du palais s’illumine de clartés subites ; Talthybius, venu pour chercher Cassandre et l’emmener au vaisseau d’Agamemnon, se demande si ce n’est pas un incendie allumé par les Troyennes dans leur désespoir. La jeune fille arrive en courant, hors d’elle-même, une torche à la main, et entonne un chant d’hyménée. Elle chante avec une mimique enthousiaste la cérémonie supposée qui l’unit elle-même au roi vainqueur, dont elle doit en réalité partager la couche comme esclave. Dans son délire, elle fait du palais un temple d’Apollon, et elle invite sa mère (la vieille Hécube !) à danser avec elle pour célébrer cette grande fête. Il y a, dans ces étrangetés et d’autres que je passe, une certaine logique ;