Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 133.djvu/791

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

car, après cela, la prophétesse quitte ses allures tumultueuses pour expliquer à Hécube comment cette joie est justifiée par les malheurs dont sa captivité est comme le signal pour les vainqueurs achéens et qui seront la revanche de Troie. C’est d’abord la mort d’Agamemnon avec ses suites affreuses (Cassandre elle-même sera enveloppée dans ce drame sanglant ; mais elle ne s’y arrête pas : elle n’a pas plus conservé la timidité que la pudeur de la femme). C’est ensuite, comme type de la destinée des autres rois, le retour d’Ulysse, le maître désigné d’Hécube ; et la vierge inspirée donne en quelques vers un sommaire presque complet de l’odyssée. Elle peut donc soutenir cette thèse que les Troyens sont plus heureux que les Grecs, et elle la soutient avec les froides habiletés de la rhétorique quelques instans avant que les Troyennes captives partent pour l’exil en voyant leur patrie s’abîmer dans les flammes. Il faut tâcher d’oublier ici la Cassandre d’Eschyle : le souvenir en serait écrasant pour la Cassandre d’Euripide.

Les effets de spectacle et l’emploi des machines dans Euripide seraient fort intéressans à étudier. Il faudrait une fois de plus le comparer avec son grand prédécesseur Eschyle, dont la puissante invention s’était portée sur ces moyens dramatiques. On reconnaîtrait sans doute encore, si l’on avait tous les élémens de cette comparaison, combien le second en date a imité le premier, et cependant combien l’imitation diffère du modèle et à quel point elle procède d’un autre système. Mais trop souvent, dans le détail, on se sentirait arrêté par l’insuffisance de nos connaissances sur la scène antique et contraint de remplacer par l’hypothèse l’explication certaine de la représentation matérielle. Nous ne rencontrons pas cet obstacle dans la plupart des importantes questions qui se rapportent à la nature du drame et à la conduite de l’action. Aussi ont-elles été bien traitées depuis longtemps. On a dit ce qu’il y avait à dire sur toutes ces variétés : la tragédie épique comme les Phéniciennes, la tragédie romanesque comme Hélène ou Iphigénie en Tauride, ou celle qui reprend les sujets du drame naissant comme les Bacchantes, ou celle qui en reproduit jusqu’à un certain point les formes comme les Suppliantes, ou celle qui confine au drame satyrique comme Alceste ou, dans certaines scènes, à la comédie. L’énumération n’est pas complète. De même, sur l’action implexe avec péripétie et reconnaissance et sur la multiplicité des incidens, sur l’action simple ou double, sur les prologues et les dénouement, la critique a pu se prononcer en connaissance de cause. M. Decharme remarque, au sujet des prologues, ces sortes d’introduction qu’Euripide avait ajoutées pour préparer le public à comprendre la fable, qu’ils ne méritent pas au même degré, ni même tous, le